Quand vous entendez Australie, peut-être pensez-vous instinctivement aux kangourous, aux koalas, aux aborigènes et à l’Uluru en plein milieu de l’outback ; aux voiles de la toiture de l’opéra de Sydney, à Mark Richards si vous surfez et à Israel Folau si vous êtes plutot rugby; voire même peut être à Taz, le tigre de Tasmanie des Looney Tunes ou aux fameuses photos (très clichées mais néanmoins énervantes) de vos amis en train de fêter Noël sur la plage, torse nu avec un bonnet de Santa Claus par 35°C alors que vous croulez sous la neige et le froid du Pas de Calais ? Eh bien moi aussi…
Parce que niveau rhum, à part les insipides Bundaberg, Beenleigh et autre Inner Circle, vendus hors de prix sur place (ndlr, les taxes australiennes sont gourmandes), il n’y a pas grand-chose. Et généralement ça ne donne pas envie d’en savoir plus car tous les rhums cités visent la quantité pas la qualité (ndlr : notons quand même que le Bundaberg Distillers Edition été élu meilleur rhum du monde lors des World Drinks Awards de Londres et ndlr, et n’oublions pas les très bonnes cuvées Bundaberg Black et et les très vieux Inner Circle comme le 9 ans jamais exporté).
Fort heureusement, vous n’êtes pas sans savoir que le rhum « agricole » a le vent en poupe, aux Antilles françaises bien sûr mais aussi au Brésil, à Haïti, à Madère, en Thaïlande, aux USA, et, et c’est là où on revient à l’OZ : en Australie ! Allez, je vous emmène chez Husk Distillers, une marque récente et très prometteuse à base de pur jus de canne au style bien français et lancée tout récemment par Paul Messenger.
Le projet a commencé en 2009 pour Paul, géologue de profession, à la suite d’une croisière dans les Caraïbes. Ce voyage l’avait amené, lui et sa famille, dans diverses îles et notamment la Barbade, la Jamaïque et enfin la Martinique. C’est là que Paul est tombé amoureux du rhum agricole. Ce qui, pour celles et ceux qui me connaissent, ne m’étonne pas vraiment, soit-dit en passant.
Avec ce style de rhum, Paul se rend compte, non seulement qu’il véhicule tout un imaginaire mais également qu’il est de grande qualité, bien différent de ce qui se fait dans son pays. Il remarque aussi que le rhum agricole ne représente qu’environ 3% de part du marché mondial. Alors, « avec un peu d’audace, de passion et de volonté, il y a certainement quelque chose à faire, » se dit-il, surtout dans une région très fertile comme celle de Paul, le Tweed Shire, où on fait pousser de la canne à sucre depuis très longtemps. Qu’à cela ne tienne, en 2011, Paul arrête son métier et se forme à l’art de la distillation auprès de Bill Lark (surnommé le Godfather du whisky Australien et membre du célèbre Whisky Hall of Fame) ainsi que de Michael Delevante (distillateur jamaïquain qui a officié chez Appleton et Wray & Nephew et surnommé The Rum Doctor).
Aidé par sa femme, ses filles et ses amis, Paul se lance concrètement dans l’aventure en 2012. Sur sa ferme de 60 hectares, il plantent une parcelle d’environ ½ hectare d’une variété de canne locale : la Q-124 (Q pour Queensland). Nichée dans la caldeira verte entourant le Mont Warning, dans le nord de la Nouvelle-Galles du Sud, sa propriété n’est pas loin de Byron Bay, ville mondialement connue pour être un paradis du surf.
Et à partir de là, tout s’enchaîne. Pendant que les cannes poussent, naturellement et sans pesticides, il faut s’équiper. La famille se construit un petit hangar métallique, acquiert un alambic en cuivre d’une capacité 1000 litres, équipé d’une colonne de rectification à 10 plateaux, un moulin pour broyer la canne, une cuve de fermentation en inox de 2500 litres, une quarantaine de fûts neufs en chêne américain d’une contenance de 200 litres puis récupère des fûts de bourbon.
La récolte ayant lieu d’août à novembre, les cannes de Paul ne sont pas arrivées à maturité à temps pour la première récolte. C’est donc avec celle de son voisin que le premier batch se fera. Les cannes sont entièrement coupées à la main et broyées le jour même. La fermentation du vesou est amorcée avec une souche de levure naturelle et durera entre 5 et 6 jours, ce qui est plutôt long au regard des 120h maximum imposées par l’AOC martiniquaise (ndlr : et des fermentations généralement plus courtes, autour de 36-48h). Le vin est ensuite envoyé dans la cuve de l’alambic pour être distillé une première puis une seconde fois afin de couler un cœur de chauffe aux alentours de 87-88% alc. vol. après avoir séparé les têtes et les queues bien évidemment.
Pour sa première production, Paul a fait le pari de sortir un rhum vieux. Après réduction, le rhum fraîchement distillé est d’abord entonné dans les fûts neufs, préalablement toastés par une forte chauffe, durant une période de 6 à 12 mois, puis il sera transféré dans des ex-fûts de bourbon afin de mûrir paisiblement et atteindre 3 ans de vieillissement au total. Ce double vieillissement s’explique par un choix personnel de Paul, qui veut créer son propre style. Il est aidé en ce sens par son terroir, la distillerie étant située au pied du fleuve Tweed River et possédant un climat propice à une excellente maturation des rhums. Il y a là de grandes variations de températures entre l’été et l’hiver et le jour et la nuit, ce qui impacte fortement et directement la dilatation des douelles.
En 2015, Paul a décidé de planter deux nouvelles variétés de cannes développés localement : les Q-234 et Q-244. Ces cannes ont été sélectionnées pour leur qualité et leur parfaite adaptabilité à la Tweed Valley. Ce mélange de cannes apportera forcément de nouveaux arômes. Est-ce que Paul fera des assemblages ou gardera chaque parcelle séparée afin d’obtenir des rhums avec des profils différents et bien définis ? L’avenir nous le dira… A l’heure actuelle, le domaine se compose de 1,5 hectares et des bâtiments pour une nouvelle distillerie sont en cours de construction.
Pour en revenir aux rhums vieux, ils titrent 40,7%, sont 100% naturels et authentiques. La notion de terroir et le respect du produit étant très importants pour Paul, il n’y a pas d’édulcoration. C’est même la philosophie principale de notre « Crocodile du rhum »: pas d’arômes ajoutés, pas de coloration au caramel E150a, pas de filtration à froid ni de filtration au charbon actif.
Commercialisée fin 2015 et avec une toute petite récolte 2012 (de l’ordre de 6 tonnes de canne à sucre), la première production de rhum vieux provenant de la Husk Distillery ne s’est élevée qu’à 271 bouteilles !
Depuis septembre 2016, un rhum blanc, distillé selon la même méthode et titrant à 40% est disponible. Une édition collector du second batch de rhum vieux (distillé en 2013) est prévue pour novembre 2016. Cette cuvée 1866 célèbre en effet les 150 ans de la commune de Tumbulgum, là où sont implantées les plantations Husk de Paul. La première bouteille de ce Tumbulgum Rum 1866 sera d’ailleurs mise aux enchères et l’argent sera reversé à l’association locale afin d’embellir et de participer à la vie du village de moins de 400 habitants.
La récolte 2015 ayant dépassé les 50 tonnes (soit presque 10 fois plus que la première) on est en mesure de s’attendre à un stock plus important en 2018 mais malheureusement pour nous, les rhums Husk ne sont pas encore officiellement distribués en dehors de l’Australie. Paul est actuellement en contact avec un importateur italien très connu. Il n’y a plus qu’à attendre maintenant pour se procurer et enfin goûter ce rhum agricole… Parce que je ne sais pas vous, mais moi, toutes ces infos et ce côté artisanal avec du véritable small batch m’ont vraiment donné envie. Je suis le genre de personne qui est persuadée qu’un rhum fait amoureusement par un passionné ne peut être qu’à mille lieux d’un banal et désagréable Bundaberg que même une 103 SPX recracherait. Alors en attendant que je reçoive un sample … Santé !
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Husk Plantation Distillery
1152 Dulguigan Road
North Tumbulgum
New South Wales 2490
Australia