Le rhum va enfin avoir son sommet international. Attention, il ne s’agit pas d’un énième salon ou d’un ixième concours, mais bien d’un sommet. C’est-à-dire d’un événement qui a vocation à réunir tout l’écosystème de la filière rhum, de la canne à sucre à l’embouteillage, des jeunes ultramarins intéressés par une carrière dans le rhum aux plus hautes autorités nationales et internationales. Et ce sommet, qui se tiendra à Paris en mai 2023, Rumporter en est partenaire. Rencontre avec Patrick Loger, promoteur du sommet International du Rhum (SIR).
Qu’est-ce que le SIR ?
Patrick Loger : Il s’agit du tout premier sommet international de la filière rhum. Il existe déjà de nombreuses manifestations (salons, concours…) qui mettent en avant le produit rhum en tant que tel. Notre but avec ce sommet, c’est de mettre en avant la filière, d’expliquer pourquoi et comment le rhum connaît une telle expansion dans le monde et tâcher de réfléchir à son avenir. Nous allons donc organiser des conférences, des keynotes, des débats, des ateliers, qui viendront nourrir ces réflexions.
Qui y participera ?
Les acteurs de la filière, c’est à dire : les représentants d’organismes et d’institutions publiques des pays producteurs de rhum (plus de 20 pays producteurs sont attendus), les producteurs des territoires ultramarins et, par ailleurs, plus de 30 conférenciers, des influenceurs, des médias, des acheteurs internationaux et les différentes entreprises qui font l’écosystème du rhum aujourd’hui (fabricants de bouteilles, de fûts, de levures…)
En tout, 1000 participants par jour représenteront le cœur de la filière en Guadeloupe, lors du SIR. Nous voulons aussi mettre en avant le caractère innovant de la filière, par la participation de startups ultramarines, hexagonales et internationales. Celles-ci viendront présenter leurs innovations, qui situent le rhum aujourd’hui au deuxième rang parmi les spiritueux les plus consommés dans le monde.
Concrètement comment cela va-t’il se passer ?
Le sommet va se dérouler sur 3 jours, les 3, 4 et 5 mai 2023, de 9h à 17h. Plusieurs temps forts sont déjà prévus. Par exemple, le Japon sera présent et nous expliquera comment en 30 ans ce pays est parvenu à devenir un des principaux pays du whisky.
Le champagne sera aussi représenté en tant que fer de lance du luxe à la française. Ce sont deux pistes de développement à suivre pour le rhum ultramarin. Aux côtés de la trentaine de conférenciers internationaux, il y aura aussi des mixologues renommés, puisque le développement du rhum, notamment en Asie (Hong Kong, Singapour), passe par la mixologie.
La filière rhum métropolitaine sera aussi présente puisqu’elle est en plein développement. On plante même de la canne à sucre en Corse, en Sicile, en Espagne, en Allemagne. Le rhum explose et des pays qui traditionnellement n’avaient aucun lien historique avec le rhum deviennent des pays producteurs.
Face à cette vraie tendance, il serait dommage que nos territoires ultramarins, qui eux, sont historiquement et culturellement liés à cette filière, ne trouvent pas leur place dans l’expansion colossale qu’est en train de vivre le rhum de nos jours.
Selon vous, il y a-t-il un risque que les rhums ultramarins ne profitent pas de cet engouement ?
Effectivement, il est à noter, par exemple, que c’est une marque produite aux Iles Vierges, Captain Morgan, qui connaît la plus forte progression au regard de ses ventes. Elle se classe désormais deuxième en termes de nombre de bouteilles vendues sur une année (2021). On voit aussi de plus en plus de concours éclore de par le monde et valoriser par leurs médailles des marques internationales.
Dernièrement, le San Francisco World Spirits Competition a consacré un rhum épicé québécois comme étant le meilleur du monde ! Même des pays qui n’ont pas une grande tradition, ni une grande culture du rhum peuvent rafler des médailles et faire le buzz.
Avec la multiplication de ces concours, augmente le risque de confusion. La question reste posée aujourd’hui : quel crédit accorder à ces nombreuses distinctions? Les rhums ultramarins ne risquent-ils pas d’être dilués dans ce magma de concours et cette profusion de médailles. Au sein du SIR, nous allons d’ailleurs organiser une conférence sur la fiabilité et la portée de tous ces concours.
Est-ce que le SIR va organiser son propre concours ?
Cela ne rentre pas dans les objectifs du SIR. Le SIR n’est ni un salon, ni un concours, c’est un sommet qui met en avant la filière dans sa globalité et pas uniquement le produit fini. Par contre, suivant les différentes sphères du SIR, lors du dîner de gala seront remis des awards afin de récompenser et encourager des porteurs d’initiatives.
Quels seront les thèmes abordés lors du sommet ?
Le SIR est organisé autour de 4 sphères principales.
La sphère des Politiques Publiques françaises et internationales portée par Coriolink, où des personnalités politiques du monde entier partageront leur position sur l’évolution du rhum.
La sphère Business portée par Business France, explorera les opportunités, les tendances de la filière en matière d’affaires, de la récolte de la canne jusqu’à la commercialisation.
Il y aura aussi un focus sur l ‘Innovation car c’est un sujet très important pour nous. Cette sphère est portée par le Crédit Agricole, à travers Village by CA, un dispositif d’accélérateurs de l’innovation pour les entreprises et les start-ups des territoires.
Nous allons passer en revue toutes les innovations qui peuvent s’appliquer à la filière rhum, qu’il s’agisse de levures, d’intelligence artificielle, de packaging… Que des discussions entre acteurs aboutissent à des solutions de création d’entreprises durant le sommet, est l’un des objectifs à atteindre pour nous. Pourquoi pas l’implantation de nos propres structures d’embouteillage, de packaging… Cela ferait baisser les coûts, créerait de l’emploi.
Enfin, il y a la sphère Éducation, qui mettra en avant les formations disponibles sur les territoires ultramarins et métropolitains. Elle sera portée par le Centre de recherche en économie et en droit du développement insulaire (CREDDI) de l’université des Antilles. Et de façon transversale, Pôle Emploi va venir mettre en lumière toutes les perspectives et opportunités d’emplois de la filière pour les jeunes et moins jeunes.
Les acteurs de la filière pourront présenter leur savoir-faire à la population le dernier jour du SIR 2023. Par ailleurs, un pont sera établi entre la culture rhum d’une part et les cultures picturale, sculpturale, photographique, cinématographique et littéraire.
Des jeunes seront donc présents aux côtés des institutionnels, des producteurs, des banquiers… ?
L’idée est aussi de permettre aux jeunes générations ultramarines de découvrir et de s’approprier cette filière créatrice d’emploi et de valeur. C’est tout l’écosystème qui part de la culture de la canne à sucre elle-même, jusqu’au marketing autour des marques, en passant par la distillation, le vieillissement, la distribution… C’est pourquoi au moins 30 jeunes par territoire ultramarin (entrepreneurs, en formation, employés…) seront présents.
Vous avez évoqué la question de la formation, pouvez-vous nous en dire plus ?
L’enjeu de la formation est crucial. Si on souhaite que les jeunes générations ultramarines puissent travailler dans la filière rhum, du champ, au marketing, il faut qu’elles aient accès à des savoirs, des compétences, des cursus sur place.
Jusqu’à présent, ils étaient obligés de partir en métropole ou à l’étranger pour se former. Là-bas, de plus en plus d’écoles de commerce et d’universités font une place aux spiritueux et au rhums dans leurs cursus consacrés au vin.
Dans les Antilles, c’est moins le cas. Mais les choses évoluent dans le bon sens. Par exemple, l’ASFO Guadeloupe vient d’ouvrir un Bachelor Chef(fe) de projet marketing et commerce des vins et spiritueux à Pointe-à-Pitre, avec une focalisation à 80% sur le rhum.
Ils pourront ainsi se former sur place à des métiers comme cavistes, entrepreneurs, commerciaux ou même chargé d’oenotourisme… Pour la filière l’enjeu est de disposer d’un vivier de jeunes gens formés aux spécificités des rhums ultramarins, qui sauront ensuite mieux l’expliquer et le vendre sur les marchés nationaux et internationaux.
Nous sommes déjà en contact avec le Centre International des Spiritueux en Charente, l’université du Rhum en Guadeloupe, la mission Locale de Guadeloupe ainsi que le GRETA.
Y aura-t-il un volet environnemental ?
Nous allons parler de l’agriculture , à travers l’innovation des processus qui permettent d’avoir une agriculture propre et respectueuse de l’environnement. En ce qui concerne le bio, la question sera abordée dans le but d’une harmonisation des critères sur le plan européen et international. Évitons le piège de l’agriculture bio punitive.
Où en êtes-vous de vos relations avec les ministères ?
Nous sommes en relation avec les différents ministères concernés, à savoir : le ministère des Outre-Mer, le ministère de l’Emploi, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Education, le ministère de la Recherche, le ministère de la Coopération et des Affaires étrangères.
Bien entendu, le délégué interministériel à l’égalité des chances nous apporte son soutien. J’ai aussi été reçu en juillet dernier par François de Kerever, le conseiller Outre-Mer du président Emmanuel Macron… à l’Elysée !
De même, nous sommes en relation avec les représentants de la Communauté Européenne. Il s’agit d’un sommet international, par conséquent, les délégations gouvernementales des pays producteurs sont également invitées.
Pourquoi avoir choisi la Guadeloupe pour accueillir ce premier Sommet International du Rhum ?
En termes d’infrastructures, notamment hôtelières et aériennes, la Guadeloupe s’y prête bien. De plus, le conseil municipal du Gosier, met à notre disposition le Palais des Sports et de la Culture de la ville. Nous bénéficions du soutien de l’ensemble des élus ultramarins, et notamment de ceux de la Guadeloupe, lieu d’accueil du sommet.
Y aura-t-il d’autres éditions ?
Il n’est pas envisageable de couvrir l’intégralité des problématiques de la filière rhum en une édition. Ce n’est pas une opération ponctuelle, il est prévu la tenue du SIR tous les deux ans.
Le SIR 2023 n’a pas encore eu lieu… que nous sommes déjà invités par deux pays pour y organiser les suivants : Cuba et la République Dominicaine. C’est très encourageant, mais dans un premier temps, tâchons de réussir le premier sommet à la Guadeloupe, nous verrons ensuite.
Mai 2023, c’est loin ! Quels sont vos plans d’ici là ?
D’ici mai 2023, nous allons présenter le SIR 2023 dans plusieurs pays et organiser des temps forts, comme celui de New York en mars 2022, Guadeloupe en mai 2022. Nous préparons l’annonce officielle du mois de novembre à Paris, ainsi qu’une tournée dans les différents territoires ultramarins.
Nous allons répondre aux invitations des salons, des concours et de festivals de jazz notamment. Bien entendu durant toute cette période, nous procèderons à la mise en oeuvre d’un plan de communication dédié à l’ensemble des acteurs de la filière qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux.
Nous finalisons les dossiers de partenariat, le dossier du village des exposants du SIR 2023. Par ailleurs, nous poursuivons les échanges avec les différents ministères concernés. Nous avons déjà le plaisir d’enregistrer les inscriptions de participants de différents pays.
Vous parlez aussi beaucoup de la notion de transmission… dans les faits comment est-ce que cela se concrétise ?
Effectivement le but est de transmettre au jeunes générations tous les outils leur permettant d’assurer la relève et la pérennité d’activités fondamentales. Dores et déjà de nombreux jeunes ont rejoint l’équipe du SIR.
Parmi eux, Manuela Hernandez, en tant que cheffe de projet. Après avoir fait ses études à l’ISC Paris, elle a notamment créé l’Echanson Expérience, un service d’expert-conseil consacré aux rhums d’exception . C’est avec des profils comme le sien, que le futur du SIR va s’écrire !