Faisant partie des best-sellers du rhum en grande distribution, la marque de Basse-Pointe, avait commencé à se repositionner en étoffant sa gamme réservée aux cavistes à partir de 2019. Mais 2023 marque un véritable tournant pour Dillon, avec une refonte complète de son récit de marque, de son design et de son positionnement.
Cela faisait quelques années que Dillon faisait figure de belle endormie. Et qu’on attendait que la marque du groupe Bardinet se réveille face aux coups de boutoir des boissons spiritueuses à base de rhum telles que Captain Morgan en grande distribution, et face à l’ébouriffante créativité de ses concurrents (avalanches de cuvées spéciales et limitées) sur le segment premium (cavistes).
2019 avait marqué le début du renouveau de la marque martiniquaise avec la sortie de son single cask 2003, et de son brut de colonne 71,3 %. Suivis en 2020 d’un parcellaire canne rouge. Et puis 2022 est arrivée, avec la sortie d’un nouveau compte d’âge (9 ans), et d’un brut de fût (2013).
Une importante (et très réussie) opération de remise à niveau de la gamme premium destinée aux cavistes et à leurs clients, les amateurs et amatrices éclairés. Mais ce n’était qu’un début puisqu’en 2023, ce n’est rien de moins qu’une refonte totale de l’identité de la gamme, qui est opérée.
Un récit de marque revisité
Le storytelling, centré autour de la date de 1779, qui correspond à la reprise en main de l’habitation Girardin par Marie-Laure de Girardin Comtesse de la Touche, à la suite du décès de son premier époux, a d’abord été repensé.
Il met désormais l’accent sur la rencontre entre la jeune (28 ans) veuve et le comte Arthur Dillon, lui aussi veuf, qui passait par la Martinique pour aller combattre les Anglais aux côtés de Lafayette. Connu pour être aventureux, bagarreur et gros buveur, Arthur parvient à mener de front sa participation à la guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique, et la cour assidue qu’il fait à la comtesse de la Touche.
À la cessation des hostilités en 1783, il s’installe avec elle en Martinique, puis à la Révolution en devient député, et se marie avec Marie-Laure. Soutien indéfectible du roi, partisan de l’esclavage et héros de guerre, voici un personnage bien ambigu, qui finira guillotiné sur ordre de Robespierre en 1794 et donnera son nom à l’habitation et donc au rhum. La fille des fondateurs, Fanny, se mariera quant à elle à un proche compagnon de Napoléon 1er, le général Bertrand.
Il se murmure que le premier consul, puis empereur n’était pas insensible à ses charmes, mais que la belle resta fidèle à son général. Fanny meurt criblée de dettes en 1857 et tous ses biens sont mis en vente. Dont l’habitation qui est achetée par Pierre Hervé, maire de Saint-Pierre. Ce dernier fait construire une sucrerie, une guildiverie et des voies ferrées. Mais la crise sucrière de 1866 le ruine et la plantation devient une société anonyme gérée par Louis Domergue.
En 1891, un cyclone dévaste l’habitation du 18e siècle, et entraîne sa mort. En 1900, son fils Raoul la reconstruit à partir d’une maison de Saint-Pierre qu’il fait démonter poutre par poutre. L’habitation est finalement rachetée en 1967 par la société familiale bordelaise Bardinet, qui possède aujourd’hui les marques Old Nick, Dillon, Negrita, ou encore le whisky Sir Edward’s. Et en 1993, Bardinet s’allie avec le groupe la Martiniquaise, le leader du rhum français avec notamment Saint-James, Depaz, Rivière-du-Mât…
Le rhum qui en dit long
Côté storytelling, 2023 est aussi marquée par un changement d’importance dans la dénomination de la marque. Désormais, on ne dira plus Dillon, mais « Maison Dillon ». Il s’agit ici de gagner en statut et en respectabilité en adjoignant ce mot « maison », qui désigne dans l’imaginaire collectif des entreprises premiums et installées depuis des générations dans le paysage français.
De nouveaux slogans ont aussi été imaginés, afin de replacer la marque dans le temps long, et de graver dans le marbre la prononciation du mont Dillon. Cela donne « Dillon, le rhum qui en dit long », qui se décline aussi en « Notre origine en dit long » pour mettre l’accent sur l’origine Martinique et l’AOC, « Notre maison en dit long » pour réaffirmer le passage au statut de « maison » ou encore « Notre Ti’punch en dit long », afin de rappeler que la grande majorité des rhums vendus par la marque sont mélangées avec du citron vert et du sucre avant d’être bus.
Une identité visuelle repensée
Le récit n’est pas le seul à avoir été sérieusement ripoliné, le design a lui aussi bénéficié d’un coup de frais. Ainsi, le logo a évolué avec un jaune plus éclatant en bordure, et l’apparition du mot « Maison », comme de la date 1779.
Les étiquettes ont elles aussi changé. L’iconique maison qui y figure est désormais positionnée en bas et la mention Fort-de-France apparaît.
Vous l’aurez noté, la forme de la bouteille a elle aussi muté. Moins haute, plus large et généreuse, elle a été pensée pour offrir davantage de statut et d’impact. L’iconique charte graphique rouge et jaune, chaude et accueillante n’a pas fondamentalement été bouleversée, seulement un peu éclaircie.
Un poids lourd de la grande distribution
Et qu’en est-il de ce qui nous intéresse en priorité en tant qu’amatrices et amateurs de rhum ? Les jus n’ont pas bougé, ils conservent leur personnalité organoleptique spécifique : qu’ils soient blanc ou vieux, ce sont des rhums charnus, authentiques, puissants, qui se livrent entièrement. Le blanc 40 % et le 55 % qui jouent sur la sucrosité, le côté épicé et une certaine amertume en fin de bouche, restent les compagnons idéals des Ti’Punch.
On les trouve en grande distribution, aux côtés d’un VSOP sur la vanille, la cannelle, le bois (parfait pour un Ti’vieux !) et en période de fête, du XO (43° tous les deux). À noter que Dillon reste un poids lourd du rhum en grande distribution. 85 % de ses 2,5 millions de bouteilles écoulées annuellement étant vendues par ce canal, en métropole.
Sur le circuit CHR cafés, hôtels, restaurants, bars…) qui représente 6 % des ventes, on retrouve nos rhums blancs à 40 et 55 %, ainsi qu’un BIB à 50 %. Côté rhums âgés, on a un rhum vieux à 43 %, et un rhum ambré à 45 %. La gamme étant complétée par un BIB de punch planteur à 15 %.
Une gamme premium étoffée
C’est la gamme réservée aux cavistes (0,1 % des ventes, mais en augmentation de 40 %) qui a le plus évolué. Aux côtés des XO 7 et 12 ans, arrive le 9 ans, qui a aussi bénéficié d’une refonte de sa charte graphique (avec des tons bleu-vert).
Sur les fruits confits, il est d’une douceur remarquable sans être écœurant, tout en étant très aromatique, une belle réussite. Tous ces comptes d’âge étant à 43 %. Viennent ensuite les séries limitées, avec notamment le single cask 2003 (43 % lui aussi) sur les fruits à coques, le tabac et de subtiles notes de rancio.
Particulièrement gourmand. Dillon s’est aussi aventuré du côté du but de fût : 2013, 62 %. Dégusté lors de notre passage chez Depaz en Martinique en mai 2022, il nous avait marqués par sa puissance maîtrisée et ses notes de fruits exotiques. Enfin côté rhums vieux, la carafe du millésime 2004 se positionne comme un grand rhum de dégustation et un cadeau statutaire.
Mais Dillon s’est aussi essayé aux rhums blancs premiums, avec son rhum Canne Rouge. Ça sent la canne fraîche (impression d’être dans un champ) et le sucre roux, c’est doux et poivré en bouche. À boire tel quel. Et pour finir, le Brut de Colonne à 71,3 %, avec ses belles notes de fleurs blanches, de coco. Un rhum à siroter en pensant aux vacances !
Une distillation chez Depaz
Dillon peut se prévaloir d’exploiter un des plus gros domaines de la Martinique avec 338 hectares, et 18 en fermage, soit 365 hectares plantés autour de Basse-Pointe au nord de l’île. Les cannes sont ensuite envoyées à la distillerie Depaz à Saint-Pierre où elles sont broyées dans la journée.
La fermentation est assez longue pour un rhum en AOC Martinique, puisqu’elle dure 48 h. Dillon ne distille plus ses propres rhums depuis 2007, date à laquelle la distillerie de Basse-Pointe a fermé, et où la colonne à distiller a été installée chez Depaz (qui a obtenu la certification ISO 14001). Là, les rhums sortent à 70 et 71°.
La mise en bouteille étant opérée à Fort-de-France, au centre de l’île. A l’avenir, Dillon devrait continuer à se positionner comme une marque typique de l’AOC Martinique. Sa gamme permanente n’a pas vocation à s’éparpiller, plutôt à s’étoffer lentement mais sûrement, avec de temps en temps des séries limitées qui viennent éclairer un aspect méconnu de son identité.
Dillon en chiffres
2 500 000 litres produits par an. 85 % sont écoulés en grande distribution métropole (-10 % sur un marché à -6 % en global), 8 % en Martinique (+5 %), 6 % CHR (+12 %), 0,1 % chez les cavistes (+40 %), et 3 % à l’export (+46 %) notamment au Japon où le VSOP se taille un beau succès, en Andorre, en Suisse, au Gabon… et en 2023 cap sur l’Allemagne, la Belgique, la République Tchèque, ou encore l’Italie.
Une nouvelle verrerie.
Dillon lance aussi de nouveaux verres à Ti’Punch, où on peut lire la recette de ce cocktail iconique des Antilles françaises. Pratique !