A tout seigneur tout honneur, la maison familiale réunionnaise Isautier a été la première à faire découvrir la tradition des arrangés au grand public. Il était donc justice qu’elle figure dans notre numéro anniversaire.
Revenons avec Cyril Isautier (CI) sur l’histoire et les perspectives de ce segment qui a connu un véritable boom en 10 ans. Et nous avons souhaité donner aussi la parole à Louise Bouilloux, qui au sein d’Isautier concocte les nouvelles recettes d’arrangés (notamment la Fresque de la Réunion).
Comment et quand a débuté l’aventure des arrangés chez Isautier ?
Cyril Isautier : Les arrangés sont une tradition ancestrale à la Réunion. Toutes les familles réunionnaises ont leurs recettes secrètes qui sont, nécessairement, les meilleures du monde !
La famille Isautier, implantée à la Réunion depuis 1832, et ayant inauguré la Distillerie en 1845, concocte des arrangés depuis toujours, mais nos archives ne nous permettent pas de dater précisément nos premières réalisations.
Néanmoins, de manière plus pragmatique, les premières traces d’arrangés dans nos archives remontent de manière certaine à 1970 avec la sortie de l’ancêtre de Gingembre-Citron, le Gingerlick. 53 ans plus tard, toujours leaders de la catégorie en France, nous pouvons sans rougir revendiquer le statut de pionnier des arrangés.
Comment élaborez-vous vos recettes ?
Louise Bouilloux : L’île de la Réunion est notre inspiration. À juste titre baptisée l’île Intense, les possibilités de combinaisons et de recettes y sont infinies. Chaque fruit, chaque épice est travaillé de manière individuelle, en macération, en infusion, en distillation, etc.
Toutes les possibilités sont testées : degré d’alcool, temps de repos, temps de macération ou d’infusion, dosage. Les macérations d’épices sont les plus longues, mais pas trop pour éviter d’extraire les huiles essentielles et préserver un profil aromatique élégant. Pour les fruits la macération est plus courte.
Il est nécessaire de filtrer ces macérations pour garantir la qualité gustative et la stabilité du produit dans le temps. Tout le savoir-faire du liquoriste est de maîtriser ces temps de macération et surtout de savoir à quel moment retirer les fruits et les épices. Une fois les préparations aromatisantes mises au point, elles sont incluses dans les recettes.
C’est de nouveau un travail minutieux, avec un nombre d’essais colossal afin d’associer les bonnes saveurs entre elles avec les bonnes intensités. Les différentes pistes sont ensuite évaluées par notre comité de dégustation, qui est formé à l’exercice délicat de l’évaluation sensorielle.
Parmi les nombreux produits présentés, seules quelques recettes se retrouveront en flacon. Derrière chaque bouteille se cache un travail d’équipe long et minutieux pour que chaque dégustateur puisse voyager, et sans nécessairement prendre l’avion, puisse ressentir la Réunion.
Pourquoi avoir choisi ce format de 50 cl ?
CI : Comme toute belle histoire, celle de la bouteille des arrangés Isautier a des origines multiples, et c’est un ensemble de facteurs qui a concouru au format de notre bouteille. Premièrement, afin de démocratiser la consommation des arrangés, nous avions la conviction que ceux-ci devaient être consommés givrés, ou, à tout le moins, très frais.
Par conséquent, nous souhaitions une bouteille carrée, afin que celle-ci ne roule pas dans le congélateur et qu’elle puisse y trouver une place aisée. Le format carré 50 cl répondait parfaitement à ce besoin.
Aussi, nos produits sont issus d’un long process de recherche et développement, élaborés avec passion, au plus proche de notre gastronomie, de notre nature et de notre terroir réunionnais.
Nos ingrédients sont donc, très simplement, onéreux. Or les arrangés sont avant tout des spiritueux de partage et de convivialité, il était donc impératif qu’ils soient financièrement accessibles au plus grand nombre.
Un format plus petit nous permettait de proposer des produits que nous adorions à un prix abordable. Une fois ces deux critères pris en compte, le format que vous connaissez était né. Les meilleures inventions ont souvent une origine simple.
Comment se porte le segment des arrangés chez Isautier ?
CI : Comme tous les spiritueux, après deux années fastes post- Covid, le rayon des rhums est en décroissance en France en 2023 (à fin septembre). Néanmoins, le segment des arrangés se porte globalement mieux que le reste de la catégorie, avec une très légère augmentation des ventes.
Côté Isautier, nos ventes sont stables par rapport à l’année dernière. Les panels sont parfois trompeurs, car ils ne prennent pas en compte l’ensemble de notre gamme (NB : seuls les «Arrangés Isautier à 40%» y sont comptabilisés en omettant les «Douceurs d’Arrangés» et les « Arhumatik » nos deux autres sous-catégories d’arrangées). Par conséquent, dans un contexte morose pour les spiritueux, on peut dire que la Maison Isautier bénéficie toujours d’une très belle image et d’une très solide base de fans.
Combien avez-vous de références en grande distribution ?
CI : La gamme est vaste, elle comporte 16 références réparties en trois catégories : 9 parfums d’Arrangés Originaux à 40% (ou 37% pour le dernier-né Mangue Caramélisée), 4 parfums de Douceurs D’arrangés (nos liqueurs de crème) à 17%, et 3 références d’Arhumatik (à 24%).
En toute transparence, c’est trop, nous allons rationaliser la gamme afin de nous assurer de la meilleure diffusion de nos Best-sellers, notamment l’indé- trônable Banane Flambée, qui fête ses 10 ans cette année et qui est l’arrangé le plus vendu de l’histoire.
Vous avez récemment sorti une nouvelle gamme pour les cavistes (la Fresque de la Réunion), pourquoi ce choix ?
CI : Les arrangés sont une tradition réunionnaise. Isautier est la plus ancienne entreprise encore en activité à la Réunion, toujours familiale et indépendante depuis 7 générations, pionnière de la catégorie, donc nécessairement le porte-étendard de ce savoir-faire unique.
Nous ne pouvions pas ne pas répondre aux très nombreuses demandes de nos partenaires cavistes qui souhaitaient absolument nous retrouver dans leur magasin. Nous avons donc accédé à cette envie avec une gamme de 4 arrangés qui rendent hommage aux paysages luxuriants et exceptionnels de notre île.
Les Arrangés Océanique, Volcanique, Intense et Tropical sont une ode au voyage et une invitation à venir découvrir notre île dont une large partie du territoire est classée au Patrimoine Mondial de l’humanité.
Comment voyez-vous l’arrivée de nouveaux acteurs sur ce segment des arrangés ?
CI : Avec fierté. Avoir réussi à susciter un tel engouement à l’échelle nationale, avoir popularisé cette tradition réunionnaise et inspiré directement ou indirectement tant de personnes est une joie unique que toutes les équipes de la Maison Isautier savourent au quotidien.
Quid des grands groupes qui produisent également des arrangés ?
CI : Notre philosophie est toujours la même : mieux vaut être suivis que suiveurs. Il est impressionnant d’avoir su attiser les convoitises des grands groupes sur une catégorie que nous avons créée en France Hexagonale, c’est une marque de reconnaissance complémentaire.
Les grands groupes, et un en particulier (La Martiniquaise via Rivière du Mât), arrivent avec leurs moyens importants sur ce secteur, et jouent leur rôle afin d’asseoir encore davantage les arrangés comme un incontournable des rayons, c’est donc une bonne nouvelle.
En pratiquant des prix bas, ils attirent une nouvelle catégorie de consommateurs vers ce segment. On peut envisager que ceux-ci se tourneront ensuite aussi vers nos produits, plus artisanaux, et identitaires de ce savoir-faire unique.
Comment voyez-vous l’évolution de ce marché des arrangés ? Comment se démarquer ?
CI : En ce qui nous concerne, rester nous-mêmes, continuer à incarner l’authenticité, le savoir-faire originel, et embarquer encore et toujours plus de curieux vers notre territoire sont des sources inépuisables d’originalité et de différenciation.
Par ailleurs, il nous semble que les arrangés qui conservent les fruits (entiers et/ou découpés) à l’intérieur des bouteilles vont devoir trouver les moyens de muter vers une beaucoup plus grande transparence pour les consommateurs.
C’est une méthode qui pose de vrais problèmes légaux (le taux d’alcool n’est pas toujours constant et le volume de produit indiqué sur l’étiquette ne correspond pas au volume réel de liquide contenu) et gustatifs (les fruits/épices restent en macération dans le rhum et continuent à faire évoluer le goût du produit au fil du temps).
Il est nécessaire que le marché se clarifie, on peut donc envisager qu’il se rationalise et que beaucoup de marques fusionnent ou disparaissent. La folle croissance est d’ailleurs possiblement derrière nous.
Quels sont vos futurs projets pour la maison Isautier dans son ensemble ?
CI : La Maison continue de grandir et de se structurer. Nous sommes en train d’achever les travaux d’extension de la liquoristerie (unité de préparation et d’embouteillage de nos spiritueux) à Saint-Pierre dont l’inauguration est prévue fin novembre.
La Saga du Rhum, le musée consacré aux rhums de la Réunion qui chemine à travers la distillerie Isautier, va faire peau neuve à partir de la fin de cette année pour une campagne de rénovation qui devrait s’étaler sur 18 à 24 mois. Nous attendons également incessamment les autorisations préfectorales afin de moderniser la distillerie et d’accroître ses capacités de stockage et de vieillissement.
Enfin, nous entamons avec excitation la réalisation d’une nouvelle distillerie, complémentaire de notre installation historique, celle-ci intégralement dédiée aux rhums agricoles, sur nos terres historiques de Bérive, dans les hauteurs de Saint-Pierre.
Bref, en nous appuyant sur notre passé, nous construisons l’avenir en nous dotant d’outils modernes, respectueux de l’environnement et résolument ancrés dans la Réunion.
Des arrangés bios sont-ils en préparation ?
CI : Qui dit arrangés bios, dit rhum bio, ce dont la Réunion ne dispose pas à date. Mais qui sait…