Louise Bouilloux (LB) est celle qui invente les nouvelles recettes d’arrangés et de punchs de la marque réunionnaise, tandis que Marie Ferrand (MF) veille sur ses rhums vieux. Elles sont donc au cœur de la saga d’Isautier et de son succès.
D’abord, pensez-vous que ce type d’articles est toujours utile ?
LB : Je ne suis pas une féministe très engagée, pourtant c’est un sujet qui me tient à cœur. J’ai commencé ma carrière professionnelle dans un milieu, la charcuterie, où le sexisme était encore très présent et très problématique.
Cette idée d’article fait sens parce que j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de femmes ou du moins de plus en plus de femmes qui sont mises en lumière dans l’industrie du rhum.
MF : Pour le coup, je ne suis pas du tout féministe. Et c’est vrai qu’on m’a posé pas mal de fois la question, dans le cadre d’articles ou d’interviews ou autres, même en dehors, sans que ce soit forcément quelque chose qui va être écrit ou rapporté, même dans le cadre familial ou amical.
Pourtant, je n’ai pas vécu de problèmes particuliers par rapport à ça. Je dis souvent que je travaille dans l’industrie du roman plutôt que d’être catégorisé comme étant un homme ou une femme. Donc, est-ce qu’il y a encore besoin de faire ce genre d’articles ? Je serais plus nuancée.
Avez-vous été bien accueillie dans l’industrie du rhum ?
LB : J’ai intégré le milieu du Rhum en février 2019, directement avec la Maison Isautier. J’avais déjà eu une expérience dans le milieu du vin, en 2012, pendant un stage. Dans les deux cas, j’avais été bien accueillie. Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières dues au fait que je sois une femme. Au moins en interne. Après, j’ai dû faire face à des remarques comme « Ah, mais du coup, c’est vous qui gérez le développement des produits ? » ou « Ah bon, une femme à ce poste-là, c’est étonnant, ce n’est pas courant ». Mais est-ce qu’on peut vraiment parler de sexisme, je ne pense pas ?
MF : Ça fait 12 ans que suit dans l’industrie du rhum, en intégrant la Maison Isautier et, dès le départ, j’ai été bien accueillie par les collègues masculins comme par les collègues féminins. D’une manière générale, je pars du principe qu’à partir du moment où il y a un respect d’autrui, homme ou femme, et qu’il y a un lien hiérarchique ou pas, à partir du moment où il y a un respect mutuel, ça se passe bien.
Depuis que vous êtes arrivée dans cette industrie, est-ce que vous avez vu les choses évoluer ?
MF : Si on remonte 30 ans en arrière, probablement qu’il y a moins de femmes. Il y en avait déjà plus quand j’ai commencé, mais peut-être qu’en effet, elles n’étaient pas autant mis en lumière. Elles travaillaient un peu dans l’ombre, alors que c’est vrai que, ces dernières années, on en entend plus parler. Il y a plein de raisons, mais aussi simplement e fait que le rhum s’est développé et donc que les industriels ont recruté de manière plus paritaire qu’avant.
Chez Isautier boissons par exemple, 53 % des cadres sont des femmes. Est-ce qu’il y a une façon féminine de faire le rhum ?
MF : Je ne sais pas s’il y a une manière féminine de faire le rhum, mais il y a peut-être des rhums qui ont un côté qu’on pourrait qualifier un peu de féminin. Chez Isautier, j’ai pris le Chai en marche, puisqu’il existe depuis 20 ans et que j’ai commencé il y a 12 ans.
D’ailleurs j’aime bien cette dimension transmission. Bien que je n’en sois pas à l’origine, cela donne des rhums avec des arômes fins, équilibrés et qui, du coup, peuvent se rapprocher d’un côté féminin. C’est vrai qu’on pourrait l’opposer à des arômes plus bruts de décoffrage, directs qu’on pourrait mettre en parallèle avec un côté masculin.
LB : En fait, je pense que ce n’est pas forcément les arômes qui sont féminins ou masculins au sens genré du terme, mais c’est que quand c’est des personnes qui sont passionnées qui les créent.
Ils vont y mettre une partie de leur âme, une partie de leur caractère, ça va être leur regard, ça va être leur perception, leur envie, leur vision du produit à terme. Et du coup, c’est plus ça qu’on va retrouver dans les produits, qu’un genre.
Est-ce que le rhum est toujours une boisson d’homme ?
LB : Historiquement les boissons spiritueuses, les alcools forts, étaient associées aux hommes parce qu’ils étaient synonymes de virilité. A contrario, dès qu’on associait des boissons alcoolisées, même faiblement alcoolisées d’ailleurs, à des femmes, c’était immoral, marginal, synonyme de déchéance. Je pense que c’est un effet culturel qu’on subit encore aujourd’hui.
MF : Je rejoins Louise, pour moi c’est vraiment un aspect culturel. Autant, les pratiques ont changé au niveau des recrutements et des postes. Autant je n’ai pas eu de problèmes en interne, autant en externe, j’entends parfois des remarques sur le fait que déguster le rhum, ce n’est pas vraiment pour les femmes. D’ailleurs je le vois dans mon entourage amical. Ce sont souvent les hommes qui vont rester le soir à déguster un bon whisky ou un bon rhum, alors que les femmes vont coucher les enfants.