Covid-19 : Interview de Jérome Isautier, directeur du groupe Isautier

Note de la rédaction  : Une interview unique a été envoyée aux trois distilleries les plus importantes de l’île. Les questions portent à la fois sur les conditions de la production ainsi que sur l’impact du Coronavirus sur les types d’alcools distillés. Voici les réponses que nous avons reçues de la Distillerie Isautier. Interview réalisée le 03/04/2020

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Rumporter  : Bonjour et merci de nous accorder cette courte interview durant cette période difficile. L’idée est de comprendre le fonctionnement de votre distillerie face à l’épidémie.

Actuellement toutes les régions du Monde sont frappées à divers degrés par l’épidémie du Covid 19 (Coronavirus). Quelle est actuellement la situation dans votre région ?

Jérome Isautier  : La Réunion a été confinée en même temps que la métropole. Nous en sommes, aujourd’hui le 3 avril, à 308 cas recensés dans l’île. Nos capacités hospitalières sont moins importantes qu’en métropole avec 111 lits en réanimation soit 1 lit pour 7700 habitants contre 1 lit pour 4600 habitants dans l’hexagone. Des mesures fortes ont donc été mises en place. Seul trois vols par semaine continuent d’opérer entre La Réunion et la métropole, et depuis ce début de semaine les voyageurs sont isolés, en quatorzaine surveillée, dans des établissements mis à leur disposition. Nous manquons dramatiquement de masques, de protections et jusqu’à peu de solution hydroalcoolique pour le personnel soignant. C’est pourquoi le Groupe ISAUTIER a décidé de produire de la solution hydroalcoolique pour parer au manque.

R  : Nous souhaitons savoir concrètement comment vous vous êtes organisés sur le site de production. Quels métiers sont en télétravail, au chômage partiel ou nécessitent une présence physique ?

JI  : A la date du 18 mars, la Distillerie allait être arrêtée et la Liquoristerie venait de l’être. Les ouvriers étaient donc prévus en chômage partiel depuis cette date. Les équipes administratives et commerciales sont en télétravail lorsque cela est possible.

Dès la semaine dernière nous avons maintenu la Distillerie en activité pour démarrer les tests de production de solution hydro-alcoolique. Nous avons pu compter sur les 3 employés de la Distillerie (on était hors campagne de production) et les 8 ouvriers de production Rhums et Punchs Isautier qui ont pris le relais et qui par leur dévouement, leur implication et leur engagement sans faille ont rendu cette fabrication possible.

R  : Quelles conséquences impliquent la crise sur votre propre production de rhum ? Les approvisionnements en mélasse sont-ils perturbés ?

JI  : Nous sommes actuellement hors période sucrière (qui court de juillet à décembre à la Réunion), nous ne sommes donc pas en période de distillation. Nous espérons que la campagne pourra reprendre normalement en juillet, donc pas d’inquiétude pour l’instant pour les stocks de rhum.

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R  : Récemment le préfet de la Réunion vous a sollicité pour obtenir de l’alcool à haut degré afin de fabriquer du gel hydroalcoolique. Des tests concluants de fabrication ont eu lieu à la Réunion.  Comment va se dérouler désormais la production ? A quel degré est distillé l’alcool fourni ? A qui devez-vous concrètement livrer cet alcool ?

JI  : Les réunionnais sont résilients. De par son isolement, notre île a déjà, au cours de son histoire, traversé de dures épreuves. C’est toujours grâce à cette solidarité que les réunionnais ont pu faire face aux pires situations. Cette crise sanitaire n’a pas dérogé à cette règle et les entreprises se sont manifestées en nombre pour nous apporter leur aide. On peut citer : Solutec, Mauvilac, ID Log, Air Austral, cartonnerie de la Réunion, Etiqu’ocean, et bien sur l’Adir. Grâce à eux nous avons pu réunir tous les ingrédients et fournitures nécessaires à cette production. La solution hydroalcoolique (SHA) fournie est conforme à la recette préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle est composée de rhum léger, de l’eau distillée, du peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) et du glycérol. La SHA est composé à 87% de rhum léger à 95,6%vol.

La production sera livrée en priorité au Conseil Départemental de La Réunion qui nous a sollicité pour cette production. Nous livrerons également le CHU du Sud de La Réunion, les grossistes en pharmacie et les entreprises indispensables. Il s’agit principalement de professionnels de santé et d’institutions. A noter que les groupements d’employeurs servent également de point relais pour livrer leurs adhérents. A date, l’ADIR (industriels), le Medef, la FRBTP, la fédération des ambulanciers ont déjà passé commande. La CAPEB (artisans du bâtiment), la fédération des taxis et la CPME devraient suivre.

Nous avons également approvisionné Mayotte grâce à un bateau de l’armée et leur avons mis à disposition une première palette de SHA. Mais aujourd’hui nous faisons face à un afflux colossal de demandes, signe d’un énorme manque. Nous essaierons donc de répondre au mieux aux différentes requêtes.

R  : S’agit-il d’un achat de la part de l’état ? Qui en fixe le prix ?

JI  : Nous fixons nous même le prix de cette production mais nous avons fait le choix de la vendre à son prix de revient. En cette période, c’est la la solidarité qui doit primer. Nous ne sommes pas la pour profiter de cette situation. Nous revendons la production à tous les grossistes qui nous en feraient la demande. Nous ne livrons pas les individuels qui pourront s’approvisionner via leur pharmacie une fois qu’elles auront été livrées par les grossistes.

R  : Selon vous, pendant combien de temps pourrez-vous produire cet alcool ?

JI  : Nous avons lancé la production de 30.000 litres mais nous avons déjà reçu 80.000 litres de commandes. Nous sommes déjà en capacité de produire jusqu’à 89.000 litres sur 3 semaines, mais nous nous préparons déjà à trouver les ressources complémentaires pour fabriquer plus si le besoin s’en faisait ressentir.

R  : Est-il imaginable que vous fournissiez en alcool, dans quelques semaines peut-être, les îles voisines confrontées à l’épidémie ?

JI  : Comme indiqué précédemment, nous avons déjà envoyé une palette de bouteilles de solution pour Mayotte et nous prévoyons de leur faire parvenir près de 12  000 L de solution dans les semaines à venir. Nous ferons au mieux pour aider tous ceux qui en ont besoin. Une crise exceptionnelle entraine des décisions et une mobilisation exceptionnelles.

 

 


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