Rencontre avec Jean-Pierre Cointreau (JPC) président de la Fédération Française des Spiritueux et de Thomas Gauthier (TG) son directeur général
Où en est la filière vis-à-vis de ses objectifs de réduction de son empreinte carbone, notamment liée aux bouteilles en verre ?
JPC : D’abord j’aimerais rappeler que le verre de nos bouteilles est recyclable à 88 %. Cela ne s’est pas fait en un jour, et cela montre que la préoccupation de la filière vis-à-vis de notre empreinte carbone ne date pas d’aujourd’hui. Il suffit de voir le mur de bouteilles que nous installons sur les salons auxquels nous participons et qui montre toute la diversité des spiritueux en matière de contenants et l’importance de la bouteille dans l’identité des marques.
Cette diversité est-elle plus importante que pour le vin ?
JPC : Je ne souhaite pas particulièrement faire de différences entre le vin et les spiritueux, mais il est vrai que dans le vin les bouteilles d’une même appellation sont souvent identiques, et qu’il existe moins de diversité. Dans les spiritueux, les bouteilles font partie de l’identité même de nos marques.
TG : Dans les spiritueux, les bouteilles sont propres à chaque maison, et sont liées à des histoires souvent très anciennes. Le flacon est porteur de valeur, car il est le reflet du produit, de son histoire, de son terroir, de son lien avec un territoire.
Parmi les mesures proposées pour faire baisser l’empreinte carbone, il y a le réemploi des bouteilles, qu’en pensez-vous ?
JPC : Mettre en place des filières de réemploi, afin de réutiliser des volumes de bouteilles qui sont limités du fait de la grande diversité qui caractérise les spiritueux, est extrêmement compliqué. Il y a aussi le problème logistique de la distance entre le lieu de production et le lieu de consommation.
Sans parler de l’export, puisque la moitié de nos produits sont exportés. Il faut savoir que développer le réemploi pour une entreprise qui exporte impliquerait la mise en place de lignes d’embouteillage différentes pour la France et pour l’export, puisque nos clients internationaux demandent des bouteilles plus légères, trop fragiles pour être réemployées.
TG : Il faut aussi parler du taux de rotation qui est assez bas. Les spiritueux restent souvent sur les étagères des bars ou au fond de l’armoire plusieurs mois, avant que la bouteille ne soit terminée, et donc prête à être remployée.
Donc le taux de retour serait assez erratique et les flux extrêmement variables. Cela dit, nous sommes soumis à des obligations légales qui émanent de la loi Agec, qui prévoit un taux de réemploi à l’échelle de l’ensemble des filières, de 5 % des emballages à l’horizon 2023, et de 10 % en 2027. Donc nous travaillons sur le sujet afin de déterminer les cas où le réemploi est pertinent.
« Mettre en place des filières de réemploi, afin de réutiliser des volumes de bouteilles qui sont limités du fait de la grande diversité qui caractérise les spiritueux, est extrêmement compliqué. »
Quelles sont les autres pistes de travail ?
TG : Nous travaillons sur la réduction du poids des bouteilles dans une démarche d’écoconception. Pour exporter, les cahiers des charges prévoient des exigences de grammage maximum pour les bouteilles, comme pour le Canada ou le Japon. Cette logique existe aussi en France, mais plus les bouteilles traversent de distance et plus on a intérêt à faire en sorte qu’elles soient légères.
Il faut continuer à améliorer ce qu’on fait déjà. Le réemploi risque de cannibaliser les autres démarches écologiques qui sont déjà mises en place par la filière, dont le recyclage. De plus, nous avons signé une charte d’engagement pour aller à 100 % de recyclabilité de nos produits (nous en sommes à 88 %).
Ainsi, le liquoriste Giffard a allégé deux modèles de bouteilles et a économisé plus de 400 tonnes de verre et généré un gain de 164 tonnes de CO2. Le groupe Pernod est monté à 81 % de verre recyclé dans ses bouteilles…
JPC : Nous pouvons aussi améliorer des éléments périphériques à la production de la verrerie, comme la logistique. On peut éviter des importations de verrerie en faisant appel à des producteurs métropolitains, lorsque c’est possible. On peut aussi éviter les expéditions par avion. Pour nous, la bonne voie c’est le recyclage, l’écoconception et dans une certaine mesure, le réemploi.
Étant donné le contexte actuel, avec la guerre en Ukraine, n’est-ce pas de plus en plus difficile de se procurer des bouteilles en verre ?
TG : Il y a un vrai problème de disponibilité des bouteilles, avec des livraisons décalées, des quantités et un niveau de qualité pas toujours au rendez-vous. Par exemple, certains modèles de bouteilles pour les produits premiers prix ou cœur de marché, ne sont pas toujours disponibles, ce qui conduit les industriels à arbitrer entre différents marchés. Du coup, les maisons de spiritueux stockent des bouteilles, mais ils font de ce fait face à un problème de place, d’immobilisation de trésorerie, et à l’augmentation des taux d’intérêt lorsqu’ils doivent emprunter. Bien sûr, avec la crise, les prix du verre ont explosé en 2022. Nous avons subi des hausses de prix jusqu’à 60 %. Et on sait d’ores et déjà que les coûts vont encore augmenter en 2023 de 20 à 30 % minimum.
Est-il possible de sortir du verre ?
JPC : Il y a des expérimentations qui sont menées par exemple sur des flacons 100 % recyclés, mais pour le moment ce n’est pas à 100 % concluant, les bouteilles ne sont pas toujours homogènes. Il y a aussi des expérimentations sur le vrac.
Le client va voir la marque avec son flacon et on le lui remplit. Ça se fait par exemple avec certains produits très haut de gamme, mais c’est plus compliqué avec de gros volumes. D’ailleurs, les autorités ne sont pas très enthousiastes, car c’est difficile de stocker de l’alcool en grande surface par exemple. Il y a des problématiques de sécurité notamment.
TG : Il y a aussi des expérimentations pour des bouteilles en fibres végétales, mais rien de généralisable pour le moment. De leur côté, les bouteilles en plastique ne sont pas idéales, car l’alcool est labile, c’est-à-dire qu’il attire certains composés de l’emballage à l’intérieur du produit.
Quant aux canettes, elles vont à l’encontre de la tendance de premiumisation des spiritueux, ce n’est pas un support qui fait rêver. Bref, il n’y a pas de solution miracle, il faut plutôt additionner les bonnes pratiques pour atteindre un impact significatif en matière de durabilité de l’emballage.
Est-ce que la disparition du packaging autour des bouteilles elles-mêmes ne serait pas une solution ?
JPC : le packaging, ou suremballage (coffrets, étuis…), est une tendance qui vient du processus de valorisation, de premiumisation, de création de valeur, qui a cours dans les spiritueux. Le rhum en est d’ailleurs un très bon exemple. Mais en parallèle, on sent qu’il y a une demande de réduction de leur présence de la part des consommateurs. Le papier et le carton sont donc aussi des axes de travail.
TG : Potentiellement, le suremballage pourrait disparaître dans un certain nombre de circonstances. Ils ont toujours un intérêt pour les cadeaux, mais pas lorsqu’on va chercher sa bouteille dans sa grande surface ou son caviste. D’ailleurs, bien souvent ce suremballage part directement à la poubelle une fois le produit acheté !
D’autres pistes de travail ?
JPC : La caisse d’expédition est aussi un suremballage, mais on aura du mal à s’en passer… Ce qu’il faut bien comprendre c’est que nous réfléchissons à 360°, et que nos réflexions portent aussi sur l’énergie, l’eau, les pratiques de nos fournisseurs, le transport…
Par exemple, concernant l’énergie, nous réfléchissons à faire évoluer le cahier des charges de certaines appellations pour qu’elles soient moins consommatrices. Ainsi à Cognac on expérimente des méthodes de distillations alternatives et moins énergivores.