Pour cette nouvelle alliance, je me suis amusé à organiser une confrontation historique : comparer des rhums aussi différents que ceux des traditions françaises et espagnoles et pour arbitrer cette rencontre au sommet, j’ai choisi un cigare cubain Hermoso N°4 de la marque El Rey del Mundo.
Mon compagnon pour ce voyage est Nicolas Rojas de la Casa del Habano au Chili. Il ne connaissait aucun des deux rhums ce qui transforma cette session de travail en session d’apprentissage pour lui. El Rey del Mundo est une des marques les plus anciennes de Habano SA. Ce n’est pas la plus connue mais elle produit des vitoles d’excellente qualité d’intensité douce à moyenne. Ses cigares les plus représentatifs sont les Entreactos (30 x 100mm), Delicados (38 x 192mm), Franciscanos (40 x 116mm) et celui que nous fumerons aujourd’hui le Hermoso N°4 de (48 x 127mm), qui à première vue est un Robusto à fumer en environ 30 à 40 minutes. Pour ce qui est des rhums, nous avons d’un côté le Dos Maderas 5+5, rhum bien connu des amateurs et créé par la maison Williams & Humbert de Jerez de la Frontera, sur le principe de la double maturation. Il s’agit de rhums de la Barbade et du Demerara ayant tout d’abord vieillis 5 ans en fûts de chêne américain puis importés en Espagne avant d’être assemblés et affinés en fût de vins de Xérès, oloroso puis pedro ximenez (PX). Cela lui confère de puissantes notes de fruits rouges mûrs et une belle teinte sombre. A la dégustation, il offre des touches de châtaignes confites, de figue séchée et d’épices avec une dominante canelle qui n’est pas sans rappeler certains spiced rums. De l’autre coté, nous avons choisi un rhum agricole VSOP Dillon vieilli intégralement en Martinique.
A la dégustation des saveurs incomparables de banane plantin dominent au milieu des esters si particuliers issus de la fermentation du pur jus de canne. Il a quelque chose de plus doux que la majorité des rhums agricoles que j’ai pu goûter avec un très bon équilibre et une toute petite pointe d’acidité. Ce rhum nous fait presque penser à un whiskey du Tennessee, moyennement oxydé lors du vieillissement.
Arrive le moment d’allumer notre Havane, ce que nous faisons de la manière la plus conventionnelle et efficace qui soit avec un brûleur au gaz catalytique pour obtenir le début de combustion le plus harmonieux possible. La chose est faite facilement tant ce Rey del Mundo provient d’un tabac élégant avec un tirage excellent. Dans le premier tiers du fumage, l’accord est très puissant avec le Dillon grâce à ses notes suaves, une légère douceur et ses notes fraîches issues des fûts. Pour moi cet accord va dans le sens du respect de l’ADN des deux produits ouvrant sur un côté crémeux et potentialisant des notes chocolatées que j’attendais là. Par contre, le rhum Dos Maderas recouvre complètement le tabac et cet accord demanderait une vitole plus puissante pour faire contrepoids à l’onctuosité du rhum.
Mais nulle doute que notre avis va changer lors du 2ème tiers de notre fumage. Pendant le deuxième tiers, les notes herbaccées du Dillon prennent encore plus de puissance faisant ressortir le caractère aromatique volatile des esters alors qu’au contraire les notes tertiaires issues du fût s’estompent. Dans le cas du Dos Maderas, le mariage s’équilibre et on peut apprécier une belle finale en bouche où se mêlent des notes de pain grillé et de caramel dans une ambiance ‘milk shake au café’ (crémeux et léger). Toutes ses impressions se maintiennent tel quel jusqu’à la fin du fumage. Nous nous disons que le Dillon serait mieux ressorti s’il avait été seul, sans la comparaison avec le Dos Maderas. Lors du deuxième tiers de notre expérience, il est en effet un peu éteint par les côtés sucrés et crémeux du PX qui évidemment en masque les notes fraîches et subtiles. Les deux mariages me semblent fonctionner parfaitement mais je pense qu’avoir voulu les faire en confrontation fut une erreur. Le mariage avec le Dillon est à mon sens fantastique et il est certain que je recommencerai l’expérience sans l’influence du PX.
En ce qui concerne le Dos Maderas, le mariage était plus que correct car le rhum épouse bien la fumée de notre Havane. Néanmoins, je referais plus volontiers l’expérience sur un cigare de plus grande intensité comme un Robusto de Romeo y Julieta ou encore mieux pour un accord parfait avec un Robusto T de Trinidad.