Baisse de la production de canne à sucre à la Réunion, la filière rhum lance un cri d’alarme !

Emilie Marty, secrétaire générale de la Réunion des Rhums nous explique les raisons de cette baisse de production et les conséquences qu’elle peut avoir sur la filière rhum, celle du sucre, et plus globalement sur tout le département.

Rhum à la Réunion

Quelle est la situation de la filière canne à sucre à la Réunion ?

À la Réunion, une récolte « normale » c’est 1,5 million de tonnes de cannes à sucre pendant la campagne. Mais il faut savoir que cette normalité ne concerne que la décennie passée. Parce qu’il y a encore, on va dire, 15, 20 ans, l’objectif était d’atteindre les 2 millions de tonnes.

En fait, depuis une décennie, la production de la canne à sucre baisse par paliers à la Réunion. La dernière très bonne année date de 2015, avec 1,9 million de tonnes. En 2019, c’était 1,7 million. En 2022, c’était 1, 133 millions, alors que le seuil critique de l’industrie sucrière pour fonctionner est de 1,2 million.

Et pour 2025, quelles sont les prévisions ?

Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2025, mais nous disposons de projections. Du fait du passage du cyclone du début d’année et de la sécheresse de l’année dernière, notamment, les prévisions en début d’année étaient à 730 000 tonnes de cannes broyées. Lors des états généraux de la canne, elles ont été remontées à 972 000 tonnes, ce qui reste très bas.

Quelles sont les conséquences pour la filière sucre ?

Les usines tournent en dessous de leur seuil de rentabilité, puisque, techniquement, ce n’est pas possible de basculer les cannes d’un bassin (usine du Gol), vers l’autre (usine de Bois-Rouge), et inversement. Mais pas seulement, l’outil industriel s’abîme.

Les usines sucrières ne sont pas dimensionnées pour traiter aussi peu de cannes à sucre, c’est-à-dire que chacune est pensée pour broyer 1 million de tonnes de cannes. L’année dernière, Bois Rouge a été à l’arrêt environ 30 % du temps alors qu’elles sont censées tourner 24 h sur 24 pendant la campagne.

Ça signifie arrêter la production, la redémarrer… Ce n’est pas bon pour le matériel, et ça pose des problèmes de gestion du personnel qui peut être mis en chômage technique. Sans parler de l’impact sur les saisonniers, du personnel qui est déjà formé et compétent, qui ne travaillent que quand il y a de l’activité et donc de la canne.

Donc, ça a un impact économique sur toute l’île. L’ensemble des filières agricoles (élevage, maraîchage, fruits…) est organisé autour de la filière canne comme culture pivot. Si elle s’effondre, c’est tout notre modèle agricole qui suit.

Et quid du rhum, à quel niveau est-il impacté ?

Cette année, c’est la première fois que la filière a lancé un signal d’alarme. Ça fait trois ans que c’est compliqué du fait de la baisse de la production cannière et de la production de sucre, qui ont impacté la production de mélasse.

Or, 99 % du rhum de la Réunion est un rhum traditionnel de sucrerie. Les années précédentes, les trois grosses distilleries (Rivière du Mât, Savanna, Isautier) tenaient le coup parce qu’elles pouvaient débuter la campagne avec de la mélasse stockée.

Mais ces stocks n’existent plus, et elles ne savent pas quand elles vont pouvoir commencer. Les distilleries ne sont plus suffisamment approvisionnées en mélasse. Pour fonctionner correctement, il faudrait broyer 1,5 million de tonnes de cannes à sucre, pour produire 55 000 tonnes de mélasse. Avec les dernières projections, on atteindrait difficilement les 30 000 tonnes.

Quelles seraient les conséquences directes ? Pour le dire autrement, y aura-t-il du rhum à Noël ?

Il y aura évidemment du rhum à Noël ! Les distilleries ont fait le choix pour cette année d’approvisionner le marché local (Réunion) et le marché métropolitain, c’est l’approvisionnement à l’export (Europe) qui sera impacté par le manque de production.

Le risque pour nous, c’est que nos clients à l’export se tournent vers d’autres fournisseurs bien plus gros que nous, car il faut bien comprendre que le rhum est un marché mondial. Nous sommes en compétition avec le Brésil, l’Inde et tous les pays sud-américains. Or, les distilleries ont travaillé dur ces 15 dernières années pour capter de nouveaux marchés à l’export… Et tout ce travail est aujourd’hui clairement mis en péril.

Outre la sécheresse et le cyclone, liés au changement climatique, quelles sont les autres causes de la baisse de production ?

Il y a plusieurs facteurs qui sont identifiés depuis plusieurs années déjà. Commençons par la diminution des molécules autorisées pour cultiver la canne à sucre et lutter contre l’enherbement des exploitations.

Ce sont des décisions prises à Bruxelles qui ne tiennent pas compte du climat tropical où nous nous trouvons et où les mauvaises herbes prolifèrent. Il y a aussi une problématique de renouvellement de génération de planteurs, car plus de la moitié ont dépassé 50 ans. La coupe de la canne est aussi en difficulté en période de campagne, car il est devenu extrêmement difficile de recruter des coupeurs.

Plus de la moitié des champs sont encore coupés à la main à La Réunion. Je crois savoir que nous partageons ces facteurs avec les Antilles d’ailleurs. Enfin, nous avons une problématique de diminution de la sole cannière : entre 2016 et 2020, nous avons perdu en moyenne 160 ha de terres à canne annuellement qui sont parties en friche notamment.

La Réunion compte désormais 19 000 ha de terres cultivées en canne et environ 2300 planteurs de canne à sucre. Notre territoire produit plus de 60 % de la canne des DROM. La filière reste le pivot de toute l’agriculture réunionnaise, il est important de le rappeler.

Nous devons trouver des solutions en urgence pour remonter la production et revenir à des seuils qui permettent à toutes les composantes (canne, sucre, rhum et énergie) de se développer durablement.