Sous le ciel subtropical de Miyazaki, là où les champs de patates douces s’étendent à perte de vue et où les forêts luxuriantes murmurent dans la brise tiède, un spiritueux discret fermente depuis des siècles. Le shochu, encore relégué dans l’ombre du saké ou du whisky japonais, trouve dans cette préfecture du sud de Kyushu une terre d’expression unique. À première vue, il pourrait sembler éloigné du rhum, ce roi des spiritueux tropicaux né de la canne à sucre. Pourtant, comme son cousin caribéen, le shochu puise sa richesse dans son terroir, jouant avec une diversité d’ingrédients – patate douce, orge, sarrasin – et une alchimie singulière orchestrée par le koji. Je vous emmène à la découverte des shochus de Miyazaki, ces spiritueux si variés qui, par leur audace et leur finesse, méritent une place dans le panthéon des spiritueux, aux côtés du rhum.
Texte et photos d’Alexandre Vingtier
Miyazaki, nichée au sud-est de l’île de Kyushu (Sud du Japon, hors Okinawa), est une mosaïque de paysages façonnés par un climat subtropical et des sols volcaniques fertiles. Ici, les pluies généreuses et les températures clémentes nourrissent des cultures variées : la patate douce, reine locale, côtoie l’orge dorée et, plus rarement, le sarrasin rustique.
Ce cadre idyllique n’est pas sans rappeler les terres tropicales où prospère la canne à sucre, mais Miyazaki y ajoute une touche japonaise, une précision héritée de siècles de tradition.
Le shochu y plonge ses racines dès le 16e siècle, époque où les techniques de distillation venues de Chine, de Philippines ou de Corée se mêlent aux savoir-faire insulaires. À Kyushu, berceau du shochu, Miyazaki se distingue par son approche artisanale et ses matières premières d’exception.
Si Kagoshima domine en réputation, Miyazaki domine par le volume et la diversité avec une très grande créativité. Comme le rhum agricole des Antilles s’appuie sur le terroir, le shochu de Miyazaki célèbre ses ingrédients locaux, offrant une palette qui intrigue et séduit les palais curieux.
Les ingrédients, clé de la diversité
Au cœur du shochu de Miyazaki bat une diversité qui le rapproche du rhum tout en le démarquant. À l’instar des variations de terroirs et des variétés de cannes à sucre, la patate douce, ou imo en japonais, est la star incontestée et s’exprime de multiples façons.
Cultivée dans les sols riches de la région, comme la variété Koganesengan, elle donne des shochus charpentés, aux notes sucrées et terreuses, évoquant parfois un rhum vieilli par sa profondeur.
Distillé avec soin, l’imo shochu exhale des arômes de caramel et également des notes parfois sur les agrumes et les fleurs, des fruits séchés et de fruits secs parfois.
L’orge, ou mugi, offre une alternative plus légère. Ses shochus, aux accents céréaliers et grillés, rappellent un whisky jeune, mais sans la lourdeur de la fumée, parfois avec des accents très chocolatés.
C’est une douceur accessible, presque familière pour les amateurs de rhum blanc léger. Plus rare, le sarrasin (soba) surprend par sa finesse : des notes de noix et une élégance florale, comme celui produit par Kyoya Shuzo, font de ces shochus des ovnis délicats.
Miyazaki ne s’arrête pas là. Certaines distilleries osent des expérimentations – shochu aux algues marines ou de dattes – qui reflètent un esprit d’innovation proche de celui des rhums arrangés. Si le rhum joue sur le pur jus la ou mélasse, le shochu multiplie les possibles, élargissant son spectre gustatif avec une audace japonaise.
Le processus de fabrication, une alchimie japonaise
Ce qui fait la magie du shochu, c’est son processus de fabrication, une danse subtile entre tradition et précision. Tout commence avec le koji, ce champignon (Aspergillus oryzae) qui fermente les ingrédients bruts en libérant des sucres. Contrairement au rhum, où la levure sauvage ou cultivée domine, le koji est l’âme du shochu, un héritage de la cuisine japonaise partagé avec le saké. À Miyazaki, cette étape est un art, ajustée selon le climat humide et les matières premières.
La distillation suit, et là encore, le shochu se distingue. Le honkaku shochu, majoritaire dans la région, est distillé une seule fois dans des alambics traditionnels, conservant les arômes bruts à un degré modéré (25-36%). Le korui shochu, plus neutre, est rare ici : Miyazaki préfère la puissance du terroir à la neutralité industrielle. Les distilleries locales, comme Kyoya Shuzo ou Kirishima Shuzo, peaufinent chaque détail – type d’alambic, durée de fermentation – pour signer des spiritueux uniques.
Le parallèle avec le rhum s’arrête au vieillissement : si ce dernier s’épanouit en fûts, le shochu mise sur la pureté immédiate, bien que certains imo shochu gagnent en rondeur après quelques années en jarres. C’est une autre philosophie, un autre tempo, mais grâce à la présence de l’historique tonnellerie Ariake, principale productrice de barriques mizunara, les distilleries se convertissent au vieillissement en fûts, désormais d’une grande variété.
Palette gustative et dégustation
À la dégustation, le shochu de Miyazaki révèle une richesse qui rivalise avec celle du rhum. L’imo shochu frappe par sa robe profonde : des effluves de patate rôtie, de caramel et une pointe minérale dansent au nez, suivies d’une bouche ample et chaleureuse. Sur glace, il se fait plus docile, parfait avec un yakitori fumant. Le mugi shochu, lui, séduit par sa légèreté : des notes de pain grillé et une douceur céréalière qui appellent l’oyuwari – dilué dans l’eau chaude, il libère une chaleur réconfortante.
Le soba shochu, rare et précieux, est une caresse : des arômes de noisette et une finale florale qui s’accordent avec un poisson cru ou un dessert au chocolat noir. Polyvalent, le shochu se prête aussi aux cocktails – un trait de citron et du soda pour un highball nippon, à la manière d’un rhum punch.
Quelques références brillent à Miyazaki : le Taiheiyo de Kyoya Shuzo, avec son équilibre audacieux, ou un imo shochu vieilli de Kirishima Shuzo, qui évoque un rhum ambré par sa rondeur. À chaque gorgée, une invitation à explorer, verre en main.
Un pont entre shochu et rhum
Shochu et rhum partagent plus qu’on ne croit. Tous deux sont des enfants du terroir, sculptés par la distillation et les caprices de la nature. Pourtant, leurs chemins divergent : le rhum s’épanouit dans les fûts de chêne et les degrés élevés, quand le shochu préfère une simplicité brute et un alcool plus mesuré. Cette retenue, loin d’être une faiblesse, en fait un spiritueux accessible, un compagnon du quotidien au Japon.
Un pont culturel se dessine pourtant. Le rhum japonais, notamment à Okinawa, emprunte à la canne locale, tandis que le shochu gagne du terrain en Europe, porté par des mixologues audacieux. À Miyazaki, cette rencontre prend tout son sens : un imo shochu sur glace face à un rhum agricole, et voilà deux mondes qui se parlent. Pour les amateurs de rhum, le shochu est une extension naturelle, un voyage gustatif à tenter.