Le rhum Charrette symbolise mieux qu’aucun autre la Réunion et les Réunionnais, car il est né de la mise en commun des moyens des rhumiers dans les années 1970, et qu’il est (toujours aujourd’hui) issu d’un assemblage des principales distilleries de l’île. Charrette est toujours principalement consommé en arrangé dans sa version à 49 %, mais la marque opère aussi une montée en gamme maîtrisée, avec la volonté de rester populaire.
Quelle autre marque que Charrette symbolise mieux la Réunion, que ce soit dans le périmètre de « l’ île intense » elle-même, ou en France métropolitaine ? Avec près de 5 millions de litres vendus dans notre pays (quasiment moitié-moitié en métropole et sur le marché local), elle est ni plus ni moins la première marque de rhum française en volume! Mais si Charrette est si particulière, et si les Réunionnais y sont si attachés, c’est que la marque peut se prévaloir d’une histoire toute particulière.
DU VRAC, À L’EMBOUTEILLAGE
Tout commence au début des années 1970. À cette époque, le rhum était vendu uniquement en vrac dans les dépôts, où les petits commerçants venaient s’approvisionner avant de le vendre au détail aux Réunionnais qui apportaient leurs propres contenants en épiceries. Il faut se souvenir qu’il n’y avait alors pas de supermarchés.
L’État français qui voulait rationaliser ce système de semi-gros et au passage récupérer des droits d’accises a imposé au consommateur la vente de rhum embouteillé. Problème, aucune des quelque dix distilleries encore en activité à la Réunion ne disposait de ligne d’embouteillage capable de produire en quantité suffisante.
En 1972, faisant preuve d’un esprit de corps assez rare, cinq distilleries réunionnaises décident alors de s’unir pour créer au port, le GIE Rhums Réunion destiné à assembler et embouteiller leur rhum. Il s’agissait de la sucrerie de Bourbon à Savanna Saint Paul, de la sucrerie Leonus Benard au Gol à Saint-Louis, de la société Adrien Belier à Bois Rouge Saint-André, de la société Quartier Français à Rivière-du-Mât dans l’Est de l’île et des Établissements Isautier à Saint-Pierre.
RETOUR VERS LE FUTUR
Faisons un petit bond vers le futur, pour mieux comprendre le passé et le présent. En 2010 le groupe sucrier Tereos acquiert les actifs de Quartier Français, puis revend sa branche spiritueux à La Martiniquaise. En 2012, l’Autorité de la concurrence demande au groupe présidé par Jean-Pierre Cayard de céder une partie de ses actifs pour cause de position dominante sur le marché du rhum des DOM.
La Martiniquaise se déleste alors de Savanna et des actifs de Charrette, mais conserve Rivière du Mât. Est alors fondée La Réunionnaise du Rhum, afin de les racheter. «De nos jours le GIE Rhums Réunion est une entité du groupe La Réunionnaise du Rhum, aussi propriétaire de la Distillerie Savanna, tandis qu’Isautier y apparaît encore comme actionnaire (très minoritaire, environ 7 %), nous apprend Samuel Pitarch, Directeur commercial & marketing pour Réunionnaise du Rhum.
La Réunionnaise du Rhum est elle-même constituée de trois groupes familiaux : le groupe Chatel (30 %), la société Victor Bellier Participation (Famille Barau : 60 %), qui possède des terres à cannes sur le flanc est autour de Bois Rouge, et Terroirs Distillers (Famille Picard : 10 %).» Aujourd’hui, les activités du GIE RR sont d’assembler, stocker et conditionner la marque Charrette, et d’en assurer la distribution sur le marché au local réunionnais ainsi qu’en métropole et à l’international.
UN RHUM À L’IDENTITÉ RÉUNIONNAISE
Mais revenons au début des années 1970. Dès la création du GIE, les différentes distilleries prennent l’habitude d’y apporter leur rhum, où il est stocké dans d’immenses cuves, le temps qu’il soit embouteillé.
Les jus y sont alors mélangés sans tenir véritablement compte de la provenance. Le rhum traditionnel de mélasse blanc qui en sort est donc un assemblage des différentes unités de production de l’île, mais est embouteillé sous une seule et même étiquette. Sur laquelle figure déjà… un charretier et sa charrette. Et déjà, il titre 49 %. « Au fil du temps, dans le “kozé” créole, on s’est mis à le qualifier de rhum à la charrette, puis de rhum charrette, et le GIE a fini par déposer la marque», explique Samuel Pitarch. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, Charrette est un blend des trois principales distilleries de l’île : Savanna (majoritaire dans l’assemblage), Rivière du Mât, et Isautier pour la métropole. Il représente donc plus qu’aucun autre l’identité réunionnaise.
Au départ cependant, les processus n’étaient pas complètement maîtrisés, et les qualités livrées par les distilleries au fil de la campagne n’étaient pas constantes. Mais au fil du temps, les rhumiers ont appris à harmoniser la production en améliorant la qualité de chaque rhum produit par les distilleries ainsi que celle des assemblages.
Et la constitution de stocks a permis de compenser un coup de moins bien ou un retard de livraison. Afin de proposer à la vente un rhum, qui malgré de subtiles variations, est toujours peu ou prou le même. Ce savoir-faire a même permis au GIE de renouveler intégralement sa cuverie (remplacement des cuves et augmentation de la volumétrie) au cours de l’année 2023. « La production de Charrette s’est arrêtée pendant environ 10 mois de janvier à septembre 2023, précise Samuel Pitarch. Pour ce faire nous avons dû arrêter 90 % de la production. En amont, nous avions suracheté et stocké les matières sèches (bouteilles, étiquettes, bouchons…) et fait une année de production record 2022 (presque multipliée par deux) ! Un véritable exploit pour nos équipes qui ont su se mobiliser autour de ce projet hors normes ! »
UNE MONTÉE EN GAMME MAÎTRISÉE
À la Réunion comme en France métropolitaine, le rhum blanc Charrette est majoritairement consommé en arrangé. «La Réunion est le berceau de l’arrangé. Le rhum qui est vendu n’est pas forcément raccord avec la quantité qui est bue, explique Samuel Pitarch. En fait, il est historiquement stocké par les particuliers ou les restaurateurs qui le mélangent avec des épices et des fruits en multipliant les recettes et les réalisations au gré des saisons et de leur créativité. Le Rhum Charrette est désormais très peu consommé sec.»
Au fil du temps, la marque a su se diversifier, et son rhum traditionnel à 49 % a donné naissance à plusieurs cuvées, dont des rhums ambrés et vieux. Ces rhums sont eux aussi en priorité vendus en GMS pour rester accessibles à tous, et font d’ailleurs l’objet d’une refonte de la gamme.
Les 3 ans et 5 ans d’âge disparaissent au profit d’un VO et d’un VSOP, tandis que fait son apparition un nouveau rhum, récemment distingué d’une médaille d’or au Concours Général Agricole. Il s’agit d’un assemblage de rhums bruns et vieux, appelé « Kalou » (un mot créole qui signifie mignon), terme qui désigne le ti’punch réunionnais, à base de rhum brun de mélasse (au lieu du rhum blanc agricole comme aux Antilles).
«Même si comme chaque marque réunionnaise nous souhaitons augmenter nos capacités de production de rhum vieux, Charrette veut rester une marque populaire et accessible qui répond aux usages des Réunionnais, prévient toutefois Samuel Pitarch, mais aussi des autres consommateurs sur les territoires sur lesquels nous exportons. Ainsi un autre de nos axes de développement est la mixologie, avec la sortie de notre gamme Signature cocktails dédiée aux cocktails avec trois nouveaux rhums : Charrette Agricole à 50 % (un rhum de jus très savoureux), Charrette Blend (un assemblage de rhums de mélasses contenant du grand arôme de Savanna) à 40,5 % et Charrette Ambré (un rhum traditionnel reposé en foudres de chêne) à 40,5 % également. » Et d’autres surprises sont à prévoir dès juin 2024…
Charrette à la Réunion en chiffres
Le GIE Rhum de la Réunion dispose de deux chais. Le Chai 1 (destiné à l’embouteillage local) contient une cuve de 65 000 litres, une cuve de 300 000 litres, une cuve de 350 000 litres et deux cuves de 600 000 litres. Le Chai 2 (destiné aux rhums à l’export), 4 cuves de 250 000 litres et 2 cuves de 300 000 litres.
Côté embouteillage, il y a quatre lignes : une ligne spécifique pour les gros volumes de rhum blanc en formats 70cl, 1 L, 1,5 L d’une capacité de 2800 cols/heure environ, une ligne spécifique pour les petits volumes et les rhums vieux en formats de 50 et 70 cl d’une capacité environ 400 cols/heure, une ligne réservée aux bags in box, et une ligne pour les tout petits formats < 50 cl.
Plus de 2,2 millions de litres y sont embouteillés chaque année. La Réunion produit pour 98 % du rhum de mélasse. Il s’agit d’un marché de rhum blanc avec 97 % des volumes, pour 1,5 % en brun et 1,5 % en vieux (hors arrangés). Et dans ce découpage, la marque Rhum Charrette représente environ 80 % du marché local en 2023.