Il est de ces rhums qui sont exceptionnels, qui vous transportent vers leurs régions d’origine de par les arômes qu’ils exhalent. Certains se distinguent par leur longueur interminable, si remarquable qu’ils se rappelleront à votre bon souvenir le lendemain matin. Il en est d’autres qui se font remarquer par leur contenant aux matériaux rares et précieux… mais ceux-là on s’en fout un peu. Et il y a ceux qui ont une histoire hors du commun, une genèse et une destinée pas comme les autres ; c’est un de ceux-là dont je veux vous parler.
Tout est né dans l’esprit d’un homme, un certain Jean-Louis. Passionné de rhum, il avait acquis au fil des années des bouteilles mais aussi des dames jeannes et même des fûts (vides ceux-là). Il a eu cette idée de folle de faire son propre assemblage avec ces différents contenants, accrochez-vous : les fonds de bon nombre de bouteilles (Guyana, Barbade, Trinidad…) sont d’abord versés dans un petit fût de cognac et y restent quelques temps, ensuite les deux dames jeannes sont blendées dans une barrique de vin rouge fraichement vidée, barrique qui recevra enfin le contenu du fût de cognac, ouf ! Au final, un assemblage principalement composé de Guyana, Jamaïque, Barbade et Panama mais avec quelques autres origines en bonus.
Notre druide se retrouve donc avec quelques dizaines de litres de sa potion magique qu’il laisse se reposer quelques mois mais se rend vite compte que le degré alcoolique et la quantité de liquide baissent beaucoup et décide de les mettre en bouteilles.
Là où l’histoire de notre docteur Frankenstein devient une belle aventure d’humanité, c’est quand il décide du destin de ces bouteilles : il va les vendre pour se payer des putes et de la coke ! Oups, non pardon. Il va les vendre mais ne va pas en tirer le moindre bénéfice, puisque toutes les recettes récoltées seront, soit reversées à une association d’aide aux sans abris de Liège, soit données à des gens dans le besoin, dans la rue de la main à la main. Jean-Louis – et sa femme – ont déjà pu donner bon nombre de billets de cinquante euros à des SDF liégeois et ainsi égayer et améliorer leur quotidien pour plusieurs jours.
Je suis ébahi et admiratif d’une telle action, respect Jean-Louis !
J’ai pu me procurer une bouteille et l’ai récemment ouverte pour le déguster, eh bien, il est bien loin d’être mauvais. Voilà ce que j’en ai noté : Il n’est pas facile à appréhender et il offre plusieurs facettes au fur et à mesure qu’il s’aère ; tantôt sur la pomme jamaïcaine (oui c’est un nouveau concept !), tantôt sur un caramel gourmand, il passe par des arômes bien plus chauds à tendance empyreumatique, voire fumés et une impression huileuse, un peu cirée. En tout cas, il est très expressif (mon fils : « Je le sens d’ici »).
Puis il nous rappelle encore la Jamaïque, avec une banane épicée et on y décèle une facette capiteuse et entêtante. Pas franchement équilibré mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ce rhum atypique, au final assez lourd. En bouche, ses 55% font du bien et offrent un bon peps qui accentue sa gourmandise et réveille son équilibre. On y décèle peut-être aussi une légère impression de sucrosité. La finale est longue et on y retrouve bien la Jamaïque continentale et, après un moment, des notes fumées resurgissent.
Pour la petite histoire, une bouteille – peut-être même la dernière – est actuellement en vente par l’association Ma Part des Anges, c’est sans doute votre ultime chance de mettre la main dessus.
Une expérience que ce rhum et elle est bien loin d’être ratée !