Après une première carrière dans le vin, Anna Ostrovskyj s’est intéressée au rhum. Dieu merci ! Puisqu’elle a notamment participé aux belles heures de Remoneniq, Père Labat, et plus récemment Marie-Louise !
Avez-vous été facilement acceptée par vos collègues masculins ?
Pas au début : j’ai tendance à être timide et je sais que je suis agréable à regarder, alors on me rabaisse souvent, on me considère trop distante ou trop accessible. J’essaie de passer avant tout cela avec ma gentillesse, ma compétence et des faits concrets, ainsi j’ai toujours surmonté cet obstacle, au point de gagner le respect de mes collègues masculins.
En plus, ils comprennent vite que mon environnement, ce n’est pas trop les lumières, mais la distillerie, et que je travaille en aidant les autres et j’aime bien l’esprit de collaboration.
Lorsque vous avez commencé, y avait-il beaucoup de femmes dans l’industrie du rhum ?
Quelques-unes, dont une grande amie et mentor, Virginie Pouppeville, dans le domaine du rhum agricole, ainsi que d’autres (plus quand même) dans le monde du rhum anglais et espagnol. Généralement peu connues et très discrètes, à l’exception des « très connues », comme Joy Spence, par exemple.
Sont-elles plus nombreuses aujourd’hui ?
Je dirais plutôt que elles ont été plus mises en lumière, mais oui, je pense qu’il y en a plus : de nombreuses figures sont une source d’inspiration pour les nouvelles générations.
Quels sont les types d’emplois occupés par les femmes ?
Aujourd’hui, dans le monde du rhum en général, de nombreuses femmes occupent des postes organisationnels, administratifs, de formatrices et d’ambassadrices ; peu occupent des postes de direction, moins encore des postes techniques, comme dans mon cas. En Guadeloupe, la situation est exactement celle-là pour le rhum agricole.
Pensez-vous que les femmes occupent réellement des postes de pouvoir dans l’industrie du rhum ?
Certains (très très peu) oui, mais rarement dans le monde du rhum agricole, qui est petit et très ancré dans la tradition.
Que pourrait-on faire de mieux pour encourager les femmes à faire carrière dans l’industrie du rhum ?
Les modèles positifs et vrais de femmes de valeur mise en avant, les opportunités de formation (aussi grâce aux aides financières et aux bourses, j’ai payé toutes mes études seule avec difficulté, mais je veux toujours être le meilleur possible pour mes clients et mon travail, donc pour les petites entreprises les aides sur formations et matériel sont très importants), et enfin de carrière offerte par les distilleries et les entrepreneurs, ainsi que créer le désir dans les entreprises d’avoir l’opportunité de travailler avec des femmes inventives, créatives, techniquement compétentes et débrouillardes feront la différence, comme, au final, pour nous, être payée autant que ses collègues masculins pour les mêmes fonctions.
Avez-vous déjà été confrontée à des comportements sexistes et/ou à des agressions dans le cadre de votre travail et de vos voyages ?
Je dirais non vraiment sexistes sur moi (mots, attitudes), mais je dirais plus des comportements dévalorisants et la mise en difficulté : ceux-ci sont monnaie courante.
Existe-t-il une manière « féminine » de produire du rhum ?
Oui, cela existe, et nous le démontrons chaque jour : chaque femme possède une capacité sensorielle bien plus développée que ses collègues masculins, ainsi qu’une mémoire olfactive et gustative tout aussi remarquable.
Pour moi, cela se reflète dans le travail de création des cuvées dont j’ai la charge. Outre cette capacité, qui déclenche des seuils sensoriels très précis, la créativité et la sensibilité sont fondamentales, de la matière première à sa transformation, en passant par la fermentation, la distillation, la maturation et l’assemblage.
Les femmes sont des êtres naturellement capables de comprendre profondément la nature d’une matière et son évolution : je crois profondément à ce pouvoir inconnu et merveilleux.
Nous donnons naissance à des créatures et les nourrissons avec nos gestes techniques ou sociaux, nous composons des symphonies pour les bercer, et enfin, lorsqu’elles sont au monde, nous sommes fières de leur existence. L’acte créatif pour moi est le plus beau moment du travail, même si je suis en sueur et sale, ou si je suis debout depuis des heures.