[Focus marque] La success story des Bienheureux

Les Bienheureux, l’entreprise à l’origine du whisky Bellevoye, mais aussi des rhums Pasador de Oro et Embargo, est née d’un coup de foudre amical. Remontons ensemble le fil de cette belle success story française. Attention aux âmes sensibles, il est notamment question de partouze (mais ce n’est pas ce que vous croyez) !!!

El Pasador de Oro

En 1992, Thierry Jacquillat, directeur général de Pernod-Ricard, est à la recherche d’un rhum à acquérir. Alexandre Sirech, qui était alors directeur marketing de la filiale espagnole du groupe français, recommande une marque cubaine qui commence à se répandre dans les bars madrilènes. «Le jus était bon, mais le packaging complètement à revoir», se souvient-il.

Bien que ni Thierry Jacquillat ni Alexandre Sirech n’aient d’accointance particulière avec le régime castriste, le premier charge le patron du second, Michel Bord, de remonter la piste et de prendre contact avec le gouvernement cubain. De ces premiers rapprochements, noués grâce à un libraire marxiste de la capitale espagnole, naît la première entreprise mixte du gouvernement cubain avec une entreprise étrangère. Le 22 novembre 1993, la société Havana Club International est lancée.

DANS LES BRAS DE FIDEL CASTRO

Entre-temps, Alexandre Sirech quitte Pernod Ricard et lance le site de vente de vin en ligne ChateauNet, qu’il vend en 1999 à Jean-François Moueix, un négociant bordelais (Duclot) aussi propriétaire de l’iconique Pétrus à Pomerol.

Mais Thierry Jacquillat le convainc de revenir dans le giron de Pernod-Ricard, et de s’installer à Cuba afin de remettre de l’ordre chez Havana Club. On connaît la suite. Notamment grâce à la mise en orbite du mojito, Havana Club devient en quelques années une des marques de rhums les plus vendues au monde, alors même qu’elle n’a pas accès au marché américain pour cause d’embargo sur les produits cubains. Les ventes du rhum cubain doublent en 4 ans pour atteindre deux millions de caisses (9L) en 2004.

Pourtant Alexandre Sirech ne s’épanouit pas vraiment dans ces fonctions, écartelé qu’il est entre ses convictions politiques opposées à celles du régime castriste et sa proximité forcée avec celui-ci. « Il m’est arrivé de me retrouver dans les bras de Fidel Castro vers 2 heures du matin», se souvient-il. Le Français se sent « désaligné ». Or, « lorsqu’ il y a désalignement, de mauvaises choses arrivent ; ulcère, dépression, cancer… » Pour lui, ce sera une tumeur.

Alexandre Sirech quitte ses fonctions chez Pernod-Ricard, avec le sentiment du devoir accompli et décide en 2005 de se lancer avec son épouse dans le vin en en créant un audacieux vin d’assemblage de merlot bordelais et de syrah du Rhône, ce qui lui permet de respecter la clause de non-concurrence qui l’empêche de commercialiser des spiritueux pendant trois ans.

Les Bienheureux
A l’origine des Bienheureux, « une bromance » entre Alexandre Sirech (à g.) et Jean Moueix (à d.).

UN COUP DE FOUDRE AMICAL

L’histoire aurait pu en rester là, s’il n’avait pas fait la connaissance de Jean Moueix. Un soir de 2008, le téléphone sonne chez Alexandre Sirech, c’est Jean-François Moueix. Ce dernier n’a pas l’habitude de déranger les gens à des heures tardives, il doit y avoir un problème, pense Alexandre Sirech. « Il m’a dit que son fils Jean était à Cuba et avait absolument besoin d’une voiture, ce qui à l’ époque n’ était pas aisé, se souvient Alexandre Sirech. Grâce à mes contacts sur place, je la lui ai trouvée.»

Une fois le service rendu et le fils prodigue de retour au bercail, ce dernier décide d’inviter son bienfaiteur au restaurant. Ce sera un véritable coup de foudre amical, malgré leurs 19 ans d’écart. S’ensuivent des discussions passionnées, des projets, et même la rédaction d’un programme en 101 mesures qu’ils diffusent à chaque élection aux candidats à l’élection présidentielle, le cœur à gauche, tout le reste à droite. « Sans jamais obtenir de réponse », concède cependant Alexandre Sirech.

Passent quelques années, et alors que Jean et Alexandre lézardent sur une plage du Cap Ferret en 2012, Jean fait à Alexandre une proposition choc : et s’ils montaient ensemble une entreprise qui mettrait en pratique leurs idées ?

C’est ainsi que Les Bienheureux naissent en 2013 à Louchats (à 40 km de Bordeaux), au milieu de la forêt. L’entreprise répond à un certain nombre de valeurs : éthique, esthétique, rigueur, qualité, respect de l’Homme et de la nature, sincérité, patriotisme et humour… qui sont traduites par quatre engagements concrets : tous les salariés sont en C.D.I., le salaire minimum est fixé à 2000€ net, pas d’optimisation fiscale, pas de subventions.

Pour le coup, Alexandre Sirech se sent complètement aligné. Les Bienheureux débutent fin 2014 avec deux produits de niche : la cachaça Parati et le rhum cacao Coro Coro. Puis ce sera le tour de trois best-sellers des Bienheureux : le rhum Embargo au printemps 2015 bientôt suivi par le whisky Bellevoye et le rhum Pasador de Oro fin 2015.

LA RONDEUR ET LE VELOUTÉ

Pour Pasador de Oro, alors que sa carrière rhumière s’est jusque-là faite dans le rhum de mélasse cubain, Alexandre Sirech décide de s’en éloigner pour ne pas avoir, de nouveau, à frayer avec le régime castriste.

C’est qu’entre-temps, il a découvert des jus d’exception en provenance d’Amérique centrale, en particulier du Guatemala, produits à base de miel de canne. C’est-à-dire le pur jus de canne concentré plusieurs fois à la vapeur, l’étape juste avant la cristallisation. «Avec Jean et le maître de chai Olivier Dumont, on s’est dit qu’on pouvait donner une valeur ajoutée à ces jus par l’assemblage et l’élevage, explique Alexandre Sirech. Cela nous permet d’obtenir des spiritueux onctueux, ronds, peu chargés en sucre (entre 11 et 20 grammes par litre).»

Comme avec Bellevoye, devenu en quelques années le whisky 100 % français le plus vendu, le succès sera au rendez-vous pour cet assemblage de rhums légers et lourds distillés en colonne et alambic, vieilli en ex-fûts de cognac. Pasador de Oro est un rhum rendu facile d’accès par son velouté et sa rondeur, mais il n’en est pas moins riche et complexe.

C’est un peu la rencontre du savoir-faire cognaçais et de la science des rhums de miel de canne du Guatemala. Il séduit en tout cas particulièrement les nouveaux venus dans le monde du rhum, avec ses cuvées Gran Reserva (40 %) et XO (40 %), ou Pasión, infusé aux fruits frais de la passion, mais ne rebute pas non plus les connaisseurs.

Les Bienheureux
Le maitre de chai Olivier Dumont et Alexandre Sirech

LA GRANDE PARTOUZE DU RHUM

Francs-tireurs dans l’âme, Jean Moueix et Alexandre Sirech n’en sont pas restés là et ont également lancé un OVNI sur le marché du rhum. « J’ai été élevé dans la tradition du rhum agricole français, puis j’ai découvert le rhum de mélasse de style cubain, et enfin avec Pasador, le miel de canne, analyse Alexandre Sirech. J’ai eu envie de marier tous ces styles. On les met au lit, et on fait une grande partouze du rhum. Le pur jus donne des nez fabuleux, la mélasse c’est plus digeste et le miel donne de l’onctuosité. »

Et c’est ainsi que naît Embargo en 2015, qui est un assemblage de rhums de Martinique (jus de canne), de Trinidad (mélasse) et du Guatemala (miel de canne). L’Añejo Blanco et l’Añejo Extra sont plutôt destinés à être bus en cocktails, mais le l’Añejo Esplendido est un vrai bon blend, là encore facile à boire en dégustation pure, mais complexe. Le tout enserré dans un packaging très réussi avec son imaginaire lié à l’aviation, à Cuba, ou encore aux cigares.

EN ATTENDANT 2025

Depuis leur lancement, Les Bienheureux ne cessent de croître. De l’ordre de 40 % par an, avec un doublement tous les deux ans, et c’est en voie d’accélération ! 63 % des ventes se font en France, 37 % à l’export : USA en tête, suivis par le Canada, l’Asie du Sud-Est et le Japon.

S’il n’y a pas de grosse annonce pour cette fin d’année, on notera l’arrivée d’une bouteille en verre recyclé pour Embargo, ainsi que le passage de la gamme en bag in box, une initiative encensée par la scène de cocktails et les barmen fatigués par leurs corvées de bouteilles.

Au rayon quilles, notons tout de même la sortie de Noël d’un Bellevoye en finish de Pasador. Que nous réservent les Bienheureux à l’avenir? Difficile à savoir, car Jean Moueix et Alexandre Sirech, se sachant particulièrement observés par la concurrence, prennent garde d’en dire le moins possible.

Mais sans doute qu’après le rachat de la distillerie de whisky Bercloux, il sera de nouveau question de distillation (de rhum cette fois) d’ici 2025…