Serge Valentin, blogueur, fondateur de Whisky Fun

Pour les 10 ans de votre magazine favori des personnalités décryptent les 10 dernières années, et donnent des pistes de réflexion pour les 10 prochaines…

Serge Valentin
Comment le marché du rhum a-t-il évolué ces 10 dernières années ?

Un jour, un ami distillateur de whisky sur Islay m’a dit que le rhum suivait le whisky, dix ans en arrière. Depuis, il a d’ailleurs aussi construit sa propre distillerie de rhum dans les îles et le whisky a explosé, atteignant des niveaux records en matière de prix de toute mise un tant soit peu spéciale.

Cependant, à y regarder de plus près, les prix des malts d’entrée de gamme, les dix ans d’âge officiels par exemple, n’ont jamais vraiment progressé, preuve que le grand public, lui, n’a jamais suivi le mouvement de la premiumisation qui a surtout été conduit par les marketeurs d’une part, et par les CSP+ de plus en plus nombreux à s’intéresser aux whiskies chers, d’autre part.

Ce fut donc un peu la rolexisation du whisky jusqu’à l’année dernière, année plateau lors de laquelle les indices ont commencé à vaciller. Le rhum a suivi le mouvement jusque-là, avec l’émergence des embouteilleurs indépendants, la starification de quelques distilleries, les small batch ou single cask, mais aussi l’emploi accru des finissages parfois improbables.

En revanche, les prix sont restés modérés, si l’on excepte quelques très rares séries ultra-niche marketées avec soin. Par ailleurs, de nouvelles marques sont apparues, certaines avec beaucoup de succès auprès d’un très large public peu intéressé par l’authenticité, et plutôt amateur de produits aromatisés et sucrés. Ce sont les rhums les plus profitables aujourd’hui, hélas ! Ils sont entre les mains des grands groupes alcooliers.

Comment va-t-il évoluer ces 10 prochaines années selon vous ?

C’est très difficile à dire, car le whisky, lui, semble entrer dans une phase de transition, donc il n’est pas aisé de prédire l’avenir du rhum en observant simplement ses évolutions actuelles. Il me semble que les catégories les plus porteuses sont celles qui se situent aux deux extrêmes du spectre extrêmement large du rhum mondial et qu’entre les deux, les choses pourraient devenir incertaines.

Donc, d’un côté les concepts autour du terroir, même si les Anglo-Saxons ont une interprétation beaucoup plus libérale que les Français de ce terme. En gros, « le terroir, c’est ce que je fais », disent à peu près tous les distillateurs. Origine des cannes à sucre, sols, variétés, spécificité et localisation de la fabrication et de l’élevage, multiplication des versions, typicité des styles…

On pourrait appeler ça « la tendance œnologique » qui est beaucoup plus coûteuse, mais qui rassure tout le monde, car même si l’on échoue, on aura fait de son mieux sur le plan du produit. De l’autre côté, aux mains des multinationales donc, les rhums fabriqués, à l’authenticité inventée par des agences de com’ et aux coûts de production ridicules. Un alcool de base de très faible prix, produit en multicolonnes géantes, aromatisé après-coup, très flatteur (sucre, banane, ananas, café, caramel) et packagé avec un soin inouï. Cependant, les récents reclassements de certains de ces « rhums » en « boisson spiritueuse » par l’Union européenne pourraient ralentir la tendance.

Pour le reste, j’imagine que les amateurs de whisky, rebutés par les prix de leurs flacons et cherchant donc des alternatives, vont continuer à s’intéresser aux rhums de la première catégorie, comme ils s’intéressent aux cognacs et armagnacs de propriétaires.

Avez-vous une actualité dont vous souhaitez nous faire part ?

Je continue à déguster des rhums les dimanches, du point de vue de l’amateur de whisky uniquement. J’ai dégusté mon deux millième rhum il y a quelques semaines. Je ferai peut-être des dégustations commentées de rhum lors des festivals, à Paris, à Londres, en Suisse, à Varsovie… nous verrons, c’est pour le fun.

Que représente Rumporter pour vous ?

La vérité. L’information est si éclatée et si peu fiable qu’avoir une source d’info de confiance n’a pas de prix. Bravo, Rumporter !