Michael Barbaria, le fondateur de Swell de Spirits nous enchante depuis quelques années avec ses embouteillages pointus et très bien réalisés. On y trouve du rhum bien sûr, mais aussi du cognac, du whisky ou encore du pastis. Rencontre avec cet amoureux des spiritueux dans toute leur diversité.
Peux-tu te présenter, quel est ton parcours ?
Issu d’une famille d’origine italienne du côté de ma mère, j’ai baigné dans l’univers des vins et des spiritueux (les fins de repas se terminaient avec de la grappa). Voilà pour les débuts de mes appétences pour les spiritueux et la distillation.
Je suis ingénieur de formation, et j’ai débuté chez Airbus dans le design et le calcul de structures, mais je n’étais pas en phase avec ce métier (derrière le PC en mode geek tous les jours…). L’esprit d’évasion et une soif d’aventures indéniable ont pris le dessus, donc je suis parti surfer la vague en Australie.
D’ailleurs, ma passion pour le surf a inspiré le nom de ma société : Swell de Spirits. Swell, signifie la houle et en surf, elle désigne une vague propice à la pratique de la glisse. Cette ondulation puissante est gorgée d’énergie, la même qui me pousse à réaliser mes rêves.
Swell de Spirits, littéralement la Houle des spiritueux, retranscrit bien mon envie de créer une synergie entre les différentes eaux-de-vie et de mettre en lumière les histoires des domaines et distilleries que j’ai découverts, et qui j’espère rayonnent un peu plus.
En résumé, j’ai été expat pendant plus de 14 ans (Australie, Asie, Allemagne). Ce n’est qu’en 2017, lorsque j’ai repris mes études à l’ESCP Europe (Business School avec un Executive MBA), que j’ai commencé à toucher du doigt le fait de pouvoir vivre de ma passion des spiritueux.
J’ai toujours été un aficionado de belles cuvées avec de nombreux séjours dans les distilleries en Écosse et aux quatre coins du monde. Ma vision est le partage animé par la découverte de tous les spiritueux.
Avec un point d’honneur à transférer le message le plus précis sur les méthodes de distillation de la canne (ou céréale, vigne, fruits, agave et autres) jusqu’au verre. Tout en rendant hommage aux artisans et personnes qui ont un dur labeur, et qui nous permettent de déguster de belles cuvées.
Comment es-tu devenu embouteilleur indépendant ?
C’est une décision prise avec ma compagne de se lancer dans une aventure humaine et familiale, afin que l’un des deux puisse vivre de sa passion. En 2020, le projet est arrivé à maturité, et en 2021, j’ai ouvert le bal avec le cognac de chez nos ami(e)s Amy et Jean Pasquet.
L’idée est d’amener les amateurs de whisky et de rhum à d’autres spiritueux comme le cognac, l’armagnac, le calvados, eaux-de-vie de fruits, liqueurs et de créer des passerelles entre les différentes catégories de spiritueux.
Comment fais-tu tes sélections ?
Je marche au coup de cœur, mais je décortique beaucoup et je suis dans le détail, ça doit venir de mon côté ingénieur. Je déguste peu, mais bien et fais beaucoup de « nosing », notamment avec de longues semaines de dégustations suivant mon état de forme.
Il y a aussi des spiritueux dont je ne suis pas fou du tout, mais qui ont du potentiel pour un affinage (un finish dans un autre fût) ou qui rentreront dans un assemblage spécifique et s’affineront dans des fûts différents.
C’est une approche basée sur les sensations olfactives et une analyse aromatique, liées à des rencontres humaines qui ne laissent pas indifférent.
Peux-tu nous expliquer comment tu réalises tes assemblages ?
Les étapes de l’assemblage sont cruciales et doivent être bien maîtrisées. Je me sers de ce que j’ai appris sur le tas en Écosse (Scotch Whisky) et au travers de mes séjours dans les distilleries.
Mais aussi en apprenant (étant autodidacte), je me nourris de lectures sur le sujet, c’est en se trompant que l’on apprend. C’est une chimie, et plus le spiritueux est vieux (vieillissement sous-bois), et plus il faut prendre de temps avec des blends qui seront laissés au repos en cuve avec les molécules qui prendront le temps de se rencontrer et de créer des liens chimiques.
Les réductions sont assurées de façon très lente (ne pas brusquer les vieilles eaux-de-vie, ou même détruire des arômes, mais créer une homogénéité en préservant la structure) avec de l’eau analysée et identifiée ayant une dureté appropriée.
Un passage sous-bois de l’assemblage avec des essences de bois différents sera identifié et apportera ainsi de nouvelles saveurs à la cuvée. Je ne suis pas un grand fan de finish avec des vins doux, du Sherry, bière, ou autres, mais je suis ouvert à des expérimentations.
Je suis un grand fan des élevages en fûts de bourbons avec une première partie tropicale et une seconde continentale, on va dire que c’est ma préférence. Je recherche la finesse de l’élevage, alliée à l’élégance du distillat.
Du rhum, mais aussi du whisky et du pastis, quelle est ta motivation pour te diversifier ?
La passion a pris le dessus et j’aime rendre un hommage aux histoires, aux producteurs, mettre en lumière un savoir-faire, le côté humain, le partage. Donc pourquoi se priver tant que la qualité est présente?
Je n’ai aucune limite et même si au début c’était risqué, car la diversification peut apporter des fragilités niveau approche commerciale, au contraire cela a fait notre force. Toujours avec cette vision d’amadouer les personnes, de leur montrer le chemin vers de sublimes spiritueux français.
Par exemple, ceux que nous exportons en grande partie (cognac, armagnac), ce qui me paraît dommage. Ne manquant pas d’idées, nous avons ouvert une société au Mexique « Los Convidados » avec mes amis et associés Bruno Sarabia et Darian Penichet, sur la partie spiritueux mexicains afin de dénicher du Mezcal, de la Tequila, du Gin et du Rhum.
Nous avons d’ailleurs développé un Rum High Esters façon Jamaïcain au Mexique, qui devrait arriver sur nos étagères d’ici le début d’année prochaine.
Quelles sont tes sélections qui t’ont le plus marquées ?
Ma première sélection au le lancement de Swell de Spirits avec nos amis Amy et Jean Pasquet, avec un superbe souvenir de distillation du « cœur de chauffe » chez eux. La découverte des spiritueux mexicains à Guadalajara et le développement du Rum High Ester sur place et en exclusivité avec Swell de Spirits, un joyau dont nous en sommes fiers.
Pour finir une amitié qui s’est transformée en une collaboration professionnelle entre deux passionnés Karim Karroum (distillerie du Grandmont) et moi-même sur une liqueur avec du rhum…
Quel type/profil de rhum préfères-tu, et pourquoi ?
C’est difficile de répondre à ce genre de questions, car il y a de la beauté dans chaque distillerie avec tellement de profils différents… Je vais quand même tacher. J’ai toujours eu un faible pour les Rhums Bielle, La Mauny et Neisson côté pur jus, avec ceux notamment embouteillés par Chantal Comte (La Tour de l’or 2001) et sur l’île de la Réunion, un coup de cœur chez Savanna et le Herr Japan Tribute 1 (à l’époque) au profil exubérant.
Le terroir est un facteur important dans les distilleries citées et je pense que chacune le représente parfaitement avec un travail de A à Z à la perfection. Ceci dit il y en a tant d’autres noms qui méritent aussi d’être nommés, et des destinations qui émergent avec de jolis trésors. Je pense notamment aux Grogues du Cap-Vert de Guillaume Ferroni et de Jonathan (Sodade).
Quel regard portes-tu sur l’embouteillage indépendant et que penses-tu de la multiplication des acteurs ?
Comme l’expliquait très bien Luca Gargano (Velier) le mot «indépendant» devrait être plutôt «dépendant», car nous (embouteilleurs, éleveurs, affineurs et assembleurs de spiritueux) sommes toutes et tous tributaires des distilleries/domaines qui nous permettent d’exercer notre travail.
En énonçant ce point de vue, il est important de rappeler que notre job est de sublimer le travail déjà effectué, ne pas oublier de rester humble auprès des producteurs et des consommateurs sans qui nous ne serions pas là. Je n’ai pas de pensées négatives au sujet de la multiplication des acteurs, bien au contraire, j’ai fait de belles collaborations avec mes confrères et d’autres sont en cours, donc l’entraide est primordiale.
D’ailleurs, je suis certain que les acteurs apportent chacun leur touche, et du coup une plus grande diversité de l’offre, en tirant tout le monde vers le haut.
Quels sont tes projets futurs ?
J’ai beaucoup de projets… Un projet arrive à grands pas avec la venue sur le marché français et européen des spiritueux mexicains. Je me suis associé avec des amis Bruno et Darian et la société Los Convidados au Mexique a vu le jour afin de décupler le modèle de business de Swell de Spirits sur place au Mexique et dénicher de belles pépites en rhum/mezcal et tequila.
Il a fallu presque 2 ans pour développer notre rhum blanc High Esters (mélasse locale) en utilisant les techniques jamaïcaines et en coopération locale avec une exclusivité complète sur le sujet. Les longues fermentations (jusqu’à 5 semaines), « dunder », l’acide de canne et le « muck pit » sont mis à l’honneur dans l’élaboration de notre précieux. Le rhum pur jus de canne est prévu l’année prochaine.
Le reste, je le garde encore pour moi…