Martinique : le darwinisme du rhum agricole blanc

La ferveur mondiale autour de l’eau-de-vie de canne à sucre n’aura échappé à personne. Boostée par la tendance, la Martinique retrouve sa motivation. Rassurée par l’octroi d’une AOC en 1996, elle se redynamise à coups de parcellaire, small batch, cocktail, rhum de niche, agricoles premium et spiritourisme.

Rhum agricole Blanc Martinique

« On gagne des médailles dans les concours internationaux”, se ravit Nathalie Guillier-Tual, présidente du groupe Bellonie et Bourdillon Successeurs (BBS), dans le carbet fraichement restauré de la distillerie La Mauny. En témoignent les awards remportés au dernier Rhum Fest par ses marques mais aussi Depaz ou A1710.

S’inscrivant dans un mouvement général qualitatif, le rhum Martiniquais s’épanouit sous diverses formes. Outre une considération de plus en plus prégnante pour le vieux, le secteur repart de la base, avec un travail sur l’ADN du rhum : « toutes les marques développent le blanc agricole », certifie Yves Assier de Pompignan, fondateur en 2016, de la plus récente distillerie martiniquaise, A1710. “Face à un marché resté statique pendant des années, nous sommes désormais tous en recherche d’innovations”, concède Nathalie Guillier-Tual, qui depuis son arrivée en 2012, n’a de cesse de motiver le secteur.

Du rhum bio, parcellaire et monovariétal

L’attention est portée dès la canne et jusqu’à la bouteille pour la création de véritables rhums signature. Consciente des valeurs intrinsèques à son terroir, l’île mise sur une différenciation et une valorisation agricoles. Le monovariétal, le parcellaire, le millésime entrent dans la bouteille. « On va vers des produits de terroir », avance le fondateur d’A1710, « car on a une vraie légitimité, comme la Normandie pour le calvados ». Le travail aux champs, appuyé sur un climat idéal et un savoir-faire ancestral, reçoit tous les gages de qualité de sorte à pousser vers le haut les jus de canne fermentés à coup de levures de plus en plus sélectionnées. La coupe à la main est valorisée. Si la Mauny a été la première marque à fédérer ses petits producteurs via une association dotée d’un cahier des charges précis, la distillerie du François commence elle à mettre en lumière de vrais personnages (La Perle Brute, 2000 bouteilles en mono-parcellaire brut d’alambic à 66°). Des cuvées parcellaires – Cuvée de l’Océan chez Trois Rivières, Ter’ Rouj pour La Mauny – connaissent un réel succès.

Rhum agricole Blanc - Martinique

La typicité agricole des cannes bleues, rouges ou zikak ressortent désormais dans les flacons, Rouj de la Mauny ou Fleur de canne de St James. « L’influence variétale est claire », affirme Yves Assier de Pompignan qui s’est amusé à récolter au même moment sur la même parcelle deux cannes différentes. Sur la Perle, « on ressent la canne mâchée ».

Même s’il reste encore minoritaire, le bio gagne le blanc – Esprit bio de Neisson et Perle Rare chez A1710. Les cuvées vertes, « ça n’est pas du marketing ni juste une étiquette, c’est une vraie démarche écoresponsable, de ramassage à la main, etc. », explique le créateur d’A1710 qui a pré-vendu la sienne avant même sa commercialisation. « On arrive alors avec une qualité de jus qui se traduit par un rhum bon et différent ».

Esprit du rhum, es-tu là ?

Ces productions identitaires tendent à renforcer les gammes de blanc. Chaque maison signe ainsi une histoire singulière. Particulièrement axée sur ces small batches distinctifs, la distillerie A1710 est arrivée en 2016 avec un nouveau discours. Détachée de l’AOC trop contraignante, elle raconte « une histoire différente » à base de fermentations longues, d’alambic en cuivre, d’agricole variétal, de coupes mannuelles sans contrainte de saisons et de rhums blancs de niche. «L’apparition d’amateurs avertis déjà tournés vers les spiritueux s’accompagne d’une demande à des produits différents authentiques», observe Yves Assier de Pompignan. Longtemps dédaigné localement, le blanc acquiert aujourd’hui ses lettres de noblesse. « L’appréciation des Martiniquais sur leur propre production a beaucoup changé », a constaté Nathalie Guillie-Tual depuis six ans. Les modes de consommation évoluent. Le typique ti punch se transforme en cocktail hype, à coups de joues de citrons les plus fines possibles, de rhums vieux ou de blancs choisis parmi un panel de titres. Packagings et flaconnages participent eux aussi au ciblage du consommateur que l’on fait rêver à force séries limitées racontant « l’esprit du rhum ». L’aromatisé Ananas, “tout de suite ça transporte. L’expérience a fonctionné!”, s’enorgueillit la Mauny.

Rhum agricole Blanc Martinique

50 nuances de blanc

A coup de masterclasses, de spiritourisme dans les distilleries, voire d’associations culinaires, “on arrive à faire revenir des clients qui croyaient tout connaître du rhum”, constate Virginie Poupeville, responsable de la Qualité chez BBS : « C’est exceptionnel de faire un rhum blanc qui étonne les gens ». « Même pour le blanc sec, il y a une clientèle », revendique Yves Assier de Pompignan qui parie sur « un rhum agricole commençant à être considéré comme un produit de dégustation ». « Aujourd’hui, le rhum tend à devenir un objet de luxe expérientiel », corrobore Virginie.

Personne n’a donc plus peur de sortir des bouteilles à plus de 40-50€. « Quand on a des règles très contraignantes et les prix de revient parmi les plus chers du monde, la seule sortie c’est la premiumisation, sans quoi l’on risque de faire mourir le produit”, assène la directrice de BBS quitte à s’opposer aux partisans de la tradition qui eux parieraient plus volontiers sur le terroir.
La question des titrages reste elle encore polémique: faut-il descendre à 40° pour séduire les jeunes par la légèreté, comme le préconisent notamment Clément, HSE, La Mauny ou Trois Rivières avec sa Cuvée Spéciale, ou au contraire maintenir des degrés d’hommes connaisseurs de spiritueux? Alors que d’aucuns sortent aussi des éditions brutes de colonne qui s’envolent sans scrupule vers les 70°, on comprend qu’il n’y a pas de vérité absolue.

In bar we trust

Ces degrés moins élevés visent aussi, et surtout, à pousser la porte des bars. Opposées aux traditionnalistes du rhum pour le rhum, certaines marques en Martinique défendent les cuvées long drink et les vertus de rhums de mixabilité. La Ti Punch Cup de Clément travaille depuis deux ans à imaginer ce basique historique en véritable cocktail court shaké moderne. « Si l’on reste sur des consommateurs de ti punch et de rhum vieux en digestif, je ne suis pas sure que l’on ait encore du rhum en Martinique dans 20 ans”, milite Nathalie Guillie-Tual. L’évolution darwinienne du blanc ne se fait certes pas d’une seule voix mais la route du rhum martiniquais semble emprunter, assurément, de nouveaux chemins.

 

 

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