Polynésie française, deux rhums agricoles sinon rien

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© Mana’O

Certains d’entre vous ont entendu parler et pour quelques rares chanceux pu déguster Mana’o, le premier rhum de pur jus de canne bio cultivée sur Tahaa, une des îles Sous-le-Vent, et distillé à quelques encablures à l’est sur Tahiti, une des îles du Vent et principale île de la Polynésie Française. Son rhum blanc embouteillé à 50% a été l’une des révélations du salon France Quintessence en septembre dernier, rhums ambrés et vieux suivront en temps voulus. Voilà désormais une autre marque lui emboîte le pas, Manutea Tahiti, de la distillerie éponyme, suivant un procédé fort similaire, avec deux cuvées de rhum blanc embouteillées à 40 et 50%. Quelle émulation galopante ! Il est vrai que la Polynésie Française compte 118 îles réparties en 5 archipels, donc la canne à sucre pourrait s’y répandre à nouveau !

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En effet, les Polynésiens cultivaient déjà plusieurs variétés de canne à sucre de bouche avant l’arrivée des Européens tant et si bien que Bougainville, Cook et Bligh, ont disséminé à travers les océans une variété locale, la canne O’Tahiti, d’abord à Maurice et à la Réunion, puis dans toute la Caraïbe. En 1809 déjà, le Dictionnaire Raisonné et Universel d’Agriculture présentait toutes les qualités de cette « canne à sucre très belle et plus hâtive que celle des Antilles » et on estime même que jusqu’en 1850, c’est-à-dire avant l’industrialisation de la production de rhum, elle fut la variété majoritairement cultivée dans le monde, tout du moins dans les Empires britannique et français !

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© Mana’O

Paradoxalement, la création de grandes plantations sucrières dans la seconde moitié du XIXe siècle entraînera l’importation de nouvelles variétés de canne dans l’archipel de la Société et les rares rhums produits localement pendant un cours siècle l’était avec de la mélasse et avec la disparition de la production sucrière locale, de la mélasse qui plus est importée. Après la production locale de bière, de vins de différents cépages et même de vins d’ananas, des liqueurs, une vodka aromatisée ou encore de rhums arrangés à 40% produits par cette distillerie créée en 1983 (Pineapple, Vanilla et Tiare), c’est un juste retour des choses que la canne à sucre y soit réintroduite et justement la variété O’Tahiti afin de produire du rhum de pur jus de canne ! L’un est certifié bio, distillé vers 89%, tant que le second est distillé à 80%… une dégustation comparative s’imposera dès les premiers échantillons reçus. Le Concours Général Agricole a récemment eu la primeur de ces rhums.

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© Mana’O

Pour le moment, la mention « rhum agricole » ne devrait pas figurer sur les étiquettes de ces rhums pourtant produits dans les règles de l’art et dont la qualité a été reconnue par des producteurs antillais : en effet, cette mention est jusqu’à présent l’apanage des DOM et de Madère selon le règlement européen en vigueur. Mais la distillerie Manutea Tahiti souhaite initier une démarche idéalement collective pour obtenir le droit d’utiliser également l’appellation « rhum agricole ». On pourrait penser à créer une Indication Géographique si l’Union Européenne le permettait.

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Une initiative que nous ne pouvons applaudir que des deux mains surtout qu’elle requiert des efforts et investissements tout particuliers : la canne récoltée à la main est directement pressée et fermentée sur Tahaa avant d’être transportée puis distillée sur Tahiti… d’île en île, d’archipel en archipel dans un pur esprit polynésien.

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